Au Mont Kailash, l’argent est le bienvenu, pas les Tibétains

vendredi 6 mars 2015 par Monique Dorizon

Cette année (2014), les Tibétains ne sont pas autorisés à effectuer de pèlerinage au Mont Kailash [1] ; cependant, selon une "règle non écrite", les Chinois ne sont pas interdits de circumambulation.

Une internaute tibétaine critique cette situation : "Les habitants du Tibet n’ont pas le droit d’aller au Mont Kailash, mais les gens d’autres régions peuvent obtenir le laissez-passer, là où ils sont enregistrés. C’est une violation pure et simple de la loi sur la liberté religieuse ! Limiter uniquement à certains groupes de personnes est déjà une forme d’apartheid".

Les informations suivantes sont apparues sur Weibo [2] : les touristes sont partie prenante de la combine d’une société située à Pékin qui utilise depuis longtemps le Mont Kailash pour se remplir les poches.

Le 29 avril 2014, le Bureau du tourisme de la "Région Autonome du Tibet" a fait l’annonce suivante : "Avec effet immédiat, les touristes nationaux (y compris les cyclistes, les voyageurs autonomes, ainsi que ceux en provenance de Hong Kong et de Macao), détenant une Hukou (enregistrement des ménages) qui n’est pas locale et qui désirent se rendre dans la Préfecture de Ngari devront rejoindre un des tour-opérateurs locaux spécialement agréés".
"Cinq agences de voyage ont été choisies (dont une spécifiquement chargée des voyages au Mont Kailash) pour faire office de tour-opérateurs spécialement agréés pour les voyageurs chinois, et deux autres pour les touristes en provenance de Hong Kong et de Macao. En outre, chaque groupe doit être composé de trois personnes au moins et comprendre un guide touristique".

Un internaute travaillant dans l’industrie du tourisme a rapporté : "Entre le 28 mai et le 27 juin, au cours de Saga Dawa [3], alors que le Bureau du tourisme a annoncé que pour faire le tour de la montagne sainte il fallait faire partie d’un groupe (de l’une des cinq agences de voyages officiellement désignées), le quota journalier était de 1 500 personnes. Il y a des postes de contrôle à Baga et Darchen, contrôle effectué par le personnel de l’office du tourisme du Comté de Purang [4] signalant tout problème aux autorités supérieures".
"Selon des sources en ligne, il y a 16 points de contrôle sur le chemin de la montagne sacrée, et davantage sur la principale route au nord. Sans un laissez-passer officiel, il est impossible de passer".

Un internaute se plaint : "Je suis sans voix ; le tarif quotidien pour un guide touristique est de 600 yuans (environ 85 euros), plus un supplément de 400 (environ 57 euros) pour le repas et l’hébergement du guide et du chauffeur, le billet d’entrée et les documents nécessaires coûtent 100 (environ 14 euros) par personne, et en comptant les repas et l’hôtel cela revient à environ 20 000 (environ 2 850 euros) pour 10 jours".

Un autre internaute râle : "... Un groupe inflexible de voyageurs, un guide rigide et sans même savoir si le billet pour la montagne est également valable pour le lac Manasarovar, ce p... de gouvernement qui fait tout pour voler notre argent".
Un voyageur qui est allé au Mont Kailash précise : "Le billet d’entrée pour la montagne est de 150 yuans (environ 21 euros) et il faut en payer un autre de 150 pour le lac sacré Manasarovar".

Au début de juillet 2011, des voyageurs ont révélé sur Weibo qu’ils avaient été témoins de projets de construction sur la montagne visant à élargir les chemins et construire une nouvelle route. Bientôt, tous les types de véhicules ont été en mesure d’aller directement du pied de la montagne à mi hauteur ; certains ont même vu l’érection de câbles le long de la pente.
A ce sujet, j’ai réalisé une petite enquête et j’ai appris qu’une filiale du Groupe Guofeng de Pékin, la Tibet Tourism Co. Ltd, avait "obtenu par contrat" le Mont Kailash et le lac Manasarovar afin de les transformer en zones touristiques, en utilisant la montagne et le lac sacrés comme moyen de vente d’actions. Ceci est maintenant connu sous le nom de "Projet de développement du tourisme du Tibet Kailash Manasarovar", et comprend "le développement de la zone touristique, la construction d’hôtels et de restaurants, l’acquisition de véhicules respectueux de l’environnement, de plantes et d’autres installations".

À l’époque, j’avais écrit un appel intitulé "S’il vous plaît, arrêtez le « développement » à but lucratif du mont Kailash et du lac Manasarovar", dans lequel j’avais insisté en disant : "La marche autour de la montagne et du lac est la poursuite de traditions de pèlerins du passé, parce qu’à travers l’acte physique de la marche, et le « travail des os », il est possible d’atteindre la sublimation religieuse. Il est complètement inutile de construire des routes, ou d’avoir des voitures de tourisme sur ces chemins. Au contraire, les routes et les voitures de touristes ne pourront qu’attirer un certain type de personnes. Si nous prenons la logique de l’anthropologie culturelle, ceci est une sorte « d’impérialisme touristique » pour blasphémer et détruire la sainte montagne et le lac (...) Pour le moment, le Tibet est « ouvert au développement » pour tous types de mines, les barrages et les projets touristiques. Mais ces développements vont causer des dommages irréparables à la nation tibétaine, à la culture et au mode de vie, aux montagnes et lacs sacrés, et à son tour, à l’écologie mondiale".

Le tibétologue Elliot Sperling a répondu dans son article "Kailash, un appel" qu’il s’agit "d’un exemple déprimant de la marchandisation de ce qui serait autrement considéré comme un site sacré historique (...) Mais la dégradation de ce site religieux au profit des investisseurs chinois n’est pas simplement une nouvelle insulte faite aux Tibétains ; c’est une gifle donnée aux pèlerins indiens qui vénèrent également le Mont Kailash comme la demeure de Shiva et le visitent et tournent autour".

L’universitaire He Qingliang a également publié un article, "S’il vous plaît, gardez le Tibet", dans lequel elle souligne : "En fait, les Tibétains vivant dans la région ont longtemps été incapables d’échapper aux dommages causés par le « développement » (...) En raison des politiques spéciales pour le Tibet, la destruction environnementale et écologique au Tibet y étant encore plus sensibles que dans les autres régions de la Chine, il est difficile d’obtenir des données (...) Si Pékin veut véritablement garder le Tibet, il doit vraiment respecter la croyance des Tibétains et cesser d’utiliser leurs monastères et les montagnes saintes comme une « ressource touristique à exploiter »".

L’auteur Zheng Yi écrit dans un article : "Pour préserver la dernière terre pure du Tibet" : "Une circumambulation autour d’une montagne n’a aucun sens pour les gens qui ne croient pas ; pour ceux qui croient fermement, cependant, un pèlerinage peut laver leurs péchés, purifier et sublimer leur vie. Nous pouvons imaginer le paysage lorsque la route aura été ouverte et les hôtels de tourisme construits. Différents moyens de transport modernes déchargeront des milliers et des milliers de touristes à la recherche de nouveauté, apportant l’atmosphère du monde ordinaire non-religieux, et qui se livrent au tourisme fast-food. Ils viennent faire du tourisme, mais ce ne sont pas de pieux pèlerins qui chérissent la montagne sainte et le lac sacré, et les traces qu’ils laissent ne permettront pas d’y maintenir la divinité du site ; pour parler franchement, c’est un blasphème (...) Transformer ce mont Kailash et le lac Manasarovar en une zone de tourisme n’est rien d’autre que du néo-colonialisme et de l’impérialisme touristique (...) Nous avons déjà commercialisé et vulgarisé toutes les montagnes sacrées et les lacs des régions chinoises, nous les avons pollués et détruits ; ne pouvons-nous pas préserver la dernière terre pure de nos frères tibétains ? Le Mont Kailash et le lac Manasarovar appartiennent à tous les êtres humains".

D’autre part, les touristes qui vont au Mont Kailash, ces "impérialistes touristiques" sont un vrai fardeau. Au cours de Saga Dawa, par exemple, une personne doit dépenser 20 000 yuans (environ 2 850 euros) ; chaque jour 1 500 personnes dépensent 30 millions (environ 4,3 millions d’euros), donc pendant les 30 jours de Saga Dawa, 900 millions (environ 128 millions d’euros) peuvent être gagnés ; je ne suis pas certaine de la part qui revient aux 5 ou 7 agences de voyages. Pourtant, en même temps, il n’y a pas beaucoup de gens prêts à dépenser autant d’argent et beaucoup de touristes qui sont allés au Tibet n’ont en aucun cas voulu rejoindre l’un des tour-opérateurs officiels. Ils trouveront des chauffeurs chinois et utiliseront leur "guanxi" (relations) lors du passage des points de contrôle, en évitant les actuelles pénalités. Ces personnes ne dépenseront qu’environ 6 000 yuans (environ 850 euros). En fait, tout comme le dit un internaute : "C’est la coalition du gouvernement et des investisseurs privés qui vole l’argent des gens".

Source : traduction d’un texte de Tsering Woeser (juin 2014). Texte original de Tsering Woeser.

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[1] Kailash : montage sacrée du Tibet. Voir l’article ""Kailash, la montagne sacrée du Tibet"" sur un documentaire diffusé sur Arte.

[2] Des photos ont été prises des écrans Weibo avant que ces informations ne soient supprimées par la censure chinoise. Voir ces photos sur le site High Peaks, Pure Earth

[3] Saga Dawa, ou "Sa-dhe Due-chen", est le nom tibétain de la fête connue également sous le nom de Vesak ou Wesak dans les autres pays de tradition bouddhiste. Cette fête, jour de commémoration de la naissance et de l’éveil (parinirvana) de Bouddha, étant basée sur la lune, sa date peut varier d’un pays à un autre. En 2014, elle a été fêtée par les Tibétains à partir du 25 mai.

[4] Purang (པུ་ཧྲང་ en tibétain, 普兰 ou Burang en chinois), est un district de la Préfecture de Ngari, à l’ouest de la "Région Autonome du Tibet". Avec Tsaparang et Tholing, Purang constitue le royaume de Gugé (prononcer Gougué) qui a connu la gloire entre le 10ème et le 15ème siècle. Localiser Purang sur la carte de la liste des lieux culturels du Tibet .


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