Déclaration du Kashag à l’occasion du 51ème anniversaire de la journée du soulèvement national tibétain

mercredi 10 mars 2010 par Rédaction , Bureau du Tibet, Paris

Aujourd’hui, le 10 mars 2010, marque le 51ème anniversaire du soulèvement pacifique tibétain de 1959 contre les autorités chinoises [1].
En ce jour mémorable, le Kashag [2] rend hommage au courage des Tibétains et des Tibétaines qui ont sacrifié leur vie à notre cause temporelle et spirituelle. Par solidarité envers nos compatriotes de l’intérieur du Tibet, actuellement soumis à la torture, le Kashag adresse sa reconnaissance et sa commisération à chacun d’entre eux.

Comme stipulé dans la déclaration du Kashag en date du 10 mars dernier, nous avons constaté des évolutions négatives et positives au cours de ces 50 dernières années. D’un côté, tous les Tibétains vivant au Tibet et en dehors ont été les victimes de terribles épreuves et notre spiritualité, notre politique et notre peuple ont subi des pertes irréparables. Néanmoins, d’un autre côté, des Tibétains du Tibet de tous les âges, sans se décourager, maintenant leur vaillance, ont alimenté notre lutte pour la vérité au fil des ans. De même, ceux de l’exil ont accompli de grandes réussites spirituelles et politiques, en particulier dans les domaines de la préservation et de la promotion de la spiritualité et de la culture tibétaines. Aujourd’hui, alors que nous nous souvenons de tout cela, le Kashag souhaite exprimer sa plus profonde gratitude à Sa Sainteté le Dalaï Lama dont la direction positive a pu mener à toutes ces réalisations au cours des années.

Entre le 10 mars dernier et aujourd’hui, les Tibétains exilés et leur administration ont organisé diverses cérémonies de commémoration pour marquer le cinquantenaire de leur vie en exil et pour remercier du fond du cœur leurs pays d’accueil. Dans le cadre de ces cérémonies, une réunion informelle des employés de l’Administration Centrale Tibétaine (ACT) s’est récemment tenue afin de tirer les enseignements des expériences passées et de faire des propositions relatives à l’avenir. Un résumé de l’issue de cette réunion, qui a été apporté à Sa Sainteté le Dalaï Lama, comprend (entre autres sujets) un renouvellement du serment des employés de rester sur la voie de la paix et de la non-violence dans notre lutte pour la vérité, jusqu’à ce qu’une solution durable ait été trouvée à la question du Tibet. Nous sommes convaincus que la plupart de la population du Tibet (au Tibet et en dehors) se joindra à ce serment.

Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait qu’aucune évolution positive ne se soit produite au Tibet depuis l’éclatement de la crise, le 10 mars 2008. Le Kashag enjoint donc la République Populaire de Chine (RPC) à mettre un terme immédiat à toutes ses actions inhumaines et illégales, dont la répression et des violations des Droits de l’Homme au Tibet, de même que les condamnations à mort et à de longues périodes d’emprisonnement prononcées contre des Tibétains, sans procès légaux. Le Kashag réclame également officiellement la remise en liberté de tous les prisonniers tibétains innocents, dont le jeune Panchen Lama, Gendun Choekyi Nyima. De plus, le Kashag exhorte tous les Tibétains du Tibet à faire preuve de la plus grande retenue et de la plus grande prudence.

Dans le cadre du processus de pourparlers actuel, nous avons présenté aux officiels concernés de la RPC un mémorandum pour une autonomie véritable du peuple tibétain, le 31 octobre 2008. Dans ce document, en plus d’une articulation des aspirations fondamentales des Tibétains au Tibet et en dehors, nous avons réclamé la pleine application des clauses relatives à l’autonomie nationale régionale telles qu’inscrites dans la constitution. Cependant, les Chinois ont cherché à détourner ou à mal interpréter les demandes que nous y avons inscrites. Afin de clarifier ces sujets et pour faire une nouvelle demande en deux points, les émissaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama se sont rendus à Pékin cette année et y ont participé à une neuvième série de pourparlers avec leurs homologues chinois, les 30 et 31 janvier [3]. Dans ces derniers entretiens, les émissaires, sur les conseils de Sa Sainteté le Dalaï Lama, ont mis en avant les deux propositions suivantes :

1. Le souci ultime de Sa Sainteté le Dalaï Lama est le bien-être des six millions de Tibétains. À ce sujet, le gouvernement central chinois soutient que les Tibétains du Tibet sont heureux et qu’en tant que telle, il n’y a pas de question du Tibet à résoudre. Nous croyons au contraire que la plupart des Tibétains du Tibet sont soumis à de terribles épreuves. Il règne parmi eux un vaste sentiment d’insatisfaction et de mécontentement dans tous les domaines (religieux, politique, économique, linguistique, culturel et social). Face à des vues aussi divergentes entre les deux parties, il nous semble nécessaire de mener une étude collective et méticuleuse de la situation sur place afin de saisir quelle est la réalité. Par conséquent, nous demandons au gouvernement chinois d’entreprendre une telle étude, de manière à ce que chaque Tibétain puisse véritablement exprimer ce qu’il ressent réellement, sans crainte et sans doute. S’il s’avérait, suite à une telle étude, que les Tibétains, dans leur majorité, estiment qu’il n’y a pas de problème au Tibet et qu’ils sont contents de leur sort, Sa Sainteté le Dalaï Lama ne recherche rien d’autre. Il n’y aurait alors nul besoin pour les deux parties d’être en désaccord sur l’avenir du Tibet. Mais s’il s’avère que les Tibétains sont mécontents, alors le gouvernement central chinois devra, "preuves concrètes à l’appui", reconnaître qu’il y a un véritable problème au Tibet et entamer des discussions pour collectivement trouver des solutions et leurs moyens au problème du Tibet.

2. L’allégation que Sa Sainteté le Dalaï Lama et son administration en exil ont provoqué le soulèvement spontané et pacifique qui secoue toutes les zones tibétaines depuis le 10 mars 2008, est faux. De fait, cette allégation n’est pas acceptable par nous. Cela a été signifié aux dirigeants chinois lors des pourparlers informels qui se sont déroulés à Shenzhen [4]. En conséquence, lors de la 7ème série de pourparlers, le gouvernement central chinois a accepté la réalité et a changé sa position en passant des "trois arrêts" [5] à "quatre choses à ne pas soutenir" [6]. Pourtant, récemment, il a de nouveau formulé de telles allégations à notre encontre. Il y a donc désormais une nécessité pour le gouvernement central chinois de clarifier si sa position est restée la même que lors de la 7ème série de pourparlers ou s’il l’a changée. S’il l’a effectivement changée, alors le gouvernement central chinois doit entreprendre cette étude en profondeur (au Tibet et en dehors) pour scientifiquement identifier la véracité de ces accusations. L’issue d’une telle enquête devra être acceptée par les deux parties concernées. De plus, dussions-nous être dans notre tort, nous en ferions amende honorable. Si ce n’est pas le cas, le gouvernement central chinois doit cesser de répandre des mensonges et de telles allégations infondées, à la fois sur son sol et sur la scène internationale, et publier une clarification sur ce point.

Le gouvernement central chinois n’a pas apporté de réponses claires sur ces deux points et n’a pas non plus communiqué nos deux demandes dans ses déclarations de presse ultérieures. Nous allons de notre côté continuer de faire pression sur ces deux points que nous avons formulés de manière honnête et sincère. Si le point de vue et ce que dit le gouvernement central chinois contiennent un élément de vérité, alors celui-ci ne devrait avoir aucune hésitation à accepter cette enquête. Nous pouvons tous garantir qu’une fois qu’une enquête en bonne et due forme sera menée, les choses seront plus claires pour l’avenir et la réalité sera plus évidente à tous.

Au cours des neuf séries de pourparlers [3], les émissaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama ont catégoriquement affirmé au gouvernement chinois qu’il n’y a pas lieu de débattre de la question personnelle de Sa Sainteté le Dalaï Lama ou de ses proches. L’unique intérêt du processus de dialogue est le bien-être des six millions de Tibétains. La question personnelle de Sa Sainteté n’a été avancée dans aucun de ces échanges. Nous avons amplement clarifié cela dans le passé et nous le réitérons aujourd’hui. Par conséquent, le gouvernement central chinois, à travers ses dires et ses déclarations officielles, selon qui la raison des pourparlers est précisément de parler de la question personnelle de Sa Sainteté le Dalaï Lama, et pas le bien-être des six millions de Tibétains, a tort. C’est tout simplement hors propos. Bien qu’il n’y ait pas le moindre changement dans notre détermination à nous engager dans le dialogue avec la RPC jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée à la question du Tibet, le Kashag souhaite officiellement stipuler que l’agenda du processus de dialogue ne doit concerner que le bien-être des six millions de Tibétains et rien d’autre. Nous réaffirmons par conséquent qu’il n’y a strictement rien à débattre au sujet de la situation personnelle de Sa Sainteté le Dalaï Lama.

D’avis que la question du Tibet est d’ordre intérieur et qu’elle doive donc être résolue dans le cadre de la RPC, nous sommes toujours ouverts envers le gouvernement central chinois. Cependant, les Chinois continuent d’évoquer Sa Sainteté le Dalaï Lama et de la question du Tibet et ils continuent d’exercer partout d’énormes pressions liées à cela : dans leurs relations bilatérales avec d’autres pays ou dans divers forums internationaux. Cela contribue manifestement à nos yeux à faire de la question du Tibet une question internationale.

Notre lutte se base sur la vérité et la non-violence. Il ne fait aucun doute que si tous les Tibétains du Tibet et du dehors mettent toute leur foi dans la voie de la non-violence que nous avons choisie et que nous pratiquons, alors la véracité du problème tibétain prévaudra plus tôt que prévu. Aujourd’hui, un nombre croissant de pays en quête de vérité, des gens, des dirigeants religieux et politiques manifestent leur inquiétude et leur soutien envers la question du Tibet. De plus en plus d’intellectuels chinois en Chine et à l’étranger commencent à apprécier et à soutenir la "Voie Médiane" choisie par Sa Sainteté le Dalaï Lama. De plus, la vérité liée aux mauvaises politiques chinoises au Tibet devient de plus en plus évidente. Qui plus est, la politique de la "Voie Médiane", bénéfique à tous, ne prévoit pas la victoire des uns et la défaite des autres. Le monde entier nous l’envie et des pays comme les États-Unis et d’autres partageant les mêmes idéaux lui ont offert leur soutien. Les intellectuels tibétains des trois régions tibétaines l’admirent et la soutiennent également. Ainsi, la question du Tibet a atteint et continue d’atteindre de grands résultats dont les bénéfices sont à moyen et à long termes. Alors que nous exprimons notre infinie gratitude à Sa Sainteté le Dalaï Lama d’avoir élaboré une politique aussi authentique, le Kashag souhaite faire le serment devant Votre Sainteté de poursuivre cette politique à l’avenir, sans la remettre en question.

La cruauté et les atrocités inimaginables de ces 60 dernières années n’ont pas réussi à ébranler l’esprit et la détermination du peuple tibétain. Le gouvernement chinois aiguise actuellement sa politique du recours au mensonge et à l’argent pour détruire l’esprit et l’unité du peuple tibétain. Le Kashag pense que le peuple tibétain ne se laissera pas prendre au piège des Chinois et de leurs tromperies. L’unité de tout le peuple tibétain, intacte depuis si longtemps, a été renforcée par le soulèvement populaire de 2008. Le Kashag appelle tous les Tibétains à fournir un effort pour renforcer cette unité et à résister aux sollicitations et aux machinations de la partie adverse qui cherche à nous diviser, nous, les Tibétains. Le Kashag exhorte tous les Tibétains à veiller à ne pas s’engager dans des querelles internes pour des motifs de moindre importance.

Deux points importants auxquels les Tibétains du Tibet doivent être vigilants sont les suivants :

1. Les jeunes Tibétains doivent être encouragés à étendre leurs horizons éducatifs en se concentrant à la fois sur l’enseignement traditionnel et sur l’enseignement moderne et en acquérant des compétences professionnelles dans leurs domaines d’études.
2. Il faut rechercher tous les moyens possibles de préserver le délicat environnement du plateau tibétain de toute dégradation supplémentaire.

Il s’agit là de sujets apolitiques qui auront pourtant un impact fort à cout et à long termes pour le bénéfice à la fois des Tibétains et des Chinois. Il est donc capital que les deux parties fassent des efforts collectifs dans ce sens. De même, chacun doit faire de son mieux pour appliquer les conseils de Sa Sainteté le Dalaï Lama aux gens à travers le monde en général et aux Tibétains en particulier, conseils à teneur à la fois spirituelle et temporelle, pour cette existence actuelle mais également pour toutes celles à venir.

Si les Tibétains, actuellement divisés en différentes unités administratives, peuvent être réunies sous une seule administration autonome, cela facilitera l’élaboration d’une politique uniforme visant à développer les domaines de l’éducation, de la culture, de la santé etc. Cela contribuera notamment à préserver la culture et l’identité uniques du Tibet. La demande de réunir tous les Tibétains sous une administration unique a été faite et répétée au gouvernement chinois depuis 1951. Ainsi, au cours du Vème Forum de Travail sur le Tibet, il a été demandé aux délégués de toutes les zones tibétaines de réfléchir à un plan de développement uniforme pour tous les Tibétains. Le Forum a également identifié le fait que les conditions de vie de tous les Tibétains en général, mais des paysans et des éleveurs tibétains en particulier, sont particulièrement mauvaises. Nous devons répondre à cet état de fait. Nous attendons que le gouvernement chinois applique un programme de développement uniforme pour toutes les zones peuplées de Tibétains.

Le 6 juillet 2010, Sa Sainteté le Dalaï Lama aura 75 ans. Le Kashag prévoit de célébrer cet anniversaire de manière plus recherchée que les années précédentes, grâce à des activités spirituelles majeures. De même, notre démocratie en exil fêtera ses 50 ans le 2 septembre cette année. Nous planifions par conséquent de fêter cet anniversaire-là également. Nous espérons que tous les Tibétains garderont ces deux événements à l’esprit. Bien qu’il soit particulièrement difficile pour les Tibétains du Tibet de célébrer ouvertement ces deux événements, nous ne doutons pas que leurs cœurs et leurs esprits s’uniront à ceux des Tibétains en exil à ces deux occasions.

Pour finir, le Kashag prie pour que Sa Sainteté le Dalaï Lama vive encore longtemps et pour l’accomplissement spontané de tous ses vœux. Puisse la vérité de la question tibétaine éclater très prochainement !

Le 10 mars 2010
Le Kashag


NB : Le présent document a été traduit d’après un original publié en tibétain. En cas de différence de sens entre les deux, veuillez considérer la version en tibétain comme primant et finale sur toute autre.
Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du document officiel.


Traduction française d’Alexandre H. pour le Bureau du Tibet, Bruxelles.
Sources : www.tibet.net (anglais, tibétain) et www.tibet-info.net (français)

[1] Voir les articles
- Chronologie historique détaillée du Tibet
- Historique du 10 mars 1959 à Lhassa. et
- Ce que représente le 10 mars pour les Tibétains.

[2] Le Kashag (le cabinet du gouvernement tibétain) est le corps exécutif supérieur de l’Administration centrale du Tibet. Voir l’article Exécutif Le Kashag et les départements majeurs sous son autorité.

[3] Voir les articles :
- Chronologie des contacts sino-tibétains depuis 1979
- 9ème rencontre sino-tibétaine, du 25/01/10
- Retour en Inde des représentants du Dalaï Lama envoyés en Chine, du 02/02/10
- Déclaration de l’émissaire de Sa Sainteté le Dalaï Lama, Kasur Lodi Gyari, chef de la délégation envoyée en Chine en janvier 2010, du 03/02/10

[4] Voir l’article Des émissaires du Dalaï Lama en Chine pour des entretiens "informels", du 02/05/08.

[5] les trois arrêts sont :
- arrêt des activités séparatistes,
- arrêt de la violence et
- arrêt du sabotage des Jeux olympiques de Pékin

[6] Les quatre choses à ne pas soutenir sont :
- ne pas soutenir les activités perturbant les Jeux olympiques de Pékin,
- ne pas soutenir de complots incitant les activités criminelles violentes,
- ne pas soutenir d’activités terroristes violentes et les endiguer, et enfin,
- ne pas soutenir d’activité visant l’indépendance du Tibet


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