Déclaration du Sikyong, Dr Lobsang Sangay, à l’occasion du 23ème anniversaire de l’attribution du Prix Nobel de la Paix à Sa Sainteté le Dalaï Lama

lundi 10 décembre 2012 par Rédaction

Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour le double anniversaire du 23ème anniversaire de l’attribution du Prix Nobel de la Paix à Sa Sainteté le Dalaï Lama  [1] et du 64ème anniversaire de la Journée Internationale des Droits de l’Homme. En cette occasion notable, le Kashag s’incline respectueusement devant Sa Sainteté le Dalaï Lama et adresse ses salutations les plus chaleureuses à tous les Tibétains ainsi qu’aux amis et sympathisants du Tibet dans le monde entier.

Par sa décision d’attribuer le Prix Nobel de la Paix en 1989 à Sa Sainteté le Dalaï Lama, le Comité Nobel norvégien a mis en avant l’opposition de Sa Sainteté au recours à la violence et son plaidoyer pour des solutions pacifiques fondées sur la tolérance et le respect mutuel. Au cours des vingt-trois ans qui ont suivi la remise de ce prix, Sa Sainteté le Dalaï Lama n’a cessé de gagner en stature à un point tel que son nom est devenu synonyme de compassion et de non-violence. Les Tibétains ont une chance inouïe d’avoir comme chef très respecté Sa Sainteté le XIVème Dalaï Lama.

En cette occasion, il nous faut porter notre attention sur la crise que traverse actuellement le Tibet et nous nous devons d’exprimer nos inquiétudes à ce sujet. Je suis extrêmement triste d’avoir à rapporter ici que depuis 2009 un total de 95 Tibétains se sont immolés au Tibet [2]. Il y en eut 12 en 2011 et 82 à ce jour en 2012, dont 28 au cours du seul mois de novembre. 80 Tibétains n’ont, hélas, pas survécu. Ce qui commença comme des actions isolées au sein de monastères placés sous haute surveillance est devenu un mouvement qui s’est étendu aux trois régions du Tibet, l’Amdo, le Kham et l’U-Tsang [3], incluant Lhassa, capitale du Tibet, et à présent des nomades, des étudiants et des Tibétains ordinaires s’immolent pour protester contre les conditions au Tibet.

Ces événements tragiques survenus au Tibet défient de façon nouvelle l’affirmation centrale et la rationalisation du gouvernement chinois, à savoir que les Tibétains du Tibet sont heureux et contents. Pendant des décennies, contre toute probabilité, les Tibétains au Tibet ont contesté cette affirmation et ont canalisé leur mécontentement de manière pacifique sous de multiples formes. Après la période agitée des années 1960, entre septembre 1987 et mars 1989, le Tibet fit de nouveau la une des journaux lorsque de grandes manifestations non violentes sont survenues à Lhassa et dans les régions tibétaines voisines. Les responsables de la sécurité chinoise répondirent en imposant la loi martiale et en expulsant tous les journalistes et touristes étrangers.

Plus tard, en 2006, les Tibétains ont décidé d’abandonner l’usage de la fourrure des animaux en danger d’extinction [4]. Le monde put voir de très grands rassemblements de Tibétains réunis autour de feux où ils brûlaient publiquement des fourrures. Les autorités chinoises désapprouvaient de telles manifestations de solidarité tibétaine et renforçèrent encore la répression. Les célébrations qui suivirent la réception par Sa Sainteté le Dalaï Lama en 2007 de la médaille d’or du Congrès américain [5] n’ont pas été tolérées par les forces de sécurité chinoises dans plusieurs régions tibétaines. Cette même année, Rungye Adak, nomade tibétain, écopa d’une peine de 8 ans de prison pour avoir publiquement réclamé le retour de Sa Sainteté le Dalaï Lama au Tibet [6]. D’autres Tibétains furent également condamnés à des peines de prison sévères.

En 2008, tout le plateau tibétain traversa une période de troubles des plus intenses au cours de laquelle des milliers de Tibétains de toutes les couches de la société protestèrent contre la sévérité de la politique chinoise. Des centaines de Tibétains furent arrêtés, battus, torturés et tués. Ces événements jetèrent une ombre sur les Jeux Olympiques de Pékin en 2008.

Plus récemment, d’autres formes de contestation et des mouvements de solidarité ont accompagné les tragiques immolations dans tout le Tibet. Des étudiants à Rebkong [7] et à Chabcha [8] dans le nord-est du Tibet ont défilé par milliers dans les rues en réclamant la protection de la langue tibétaine ainsi que davantage d’égalité et de liberté. Des affrontements ont éclaté dans diverses régions du Tibet au cours de manifestations contre les projets visant à détourner le cours des rivières ou contre des projets d’exploitation minière à cause desquels un grand nombre de Tibétains ont dû être déplacés. Dans un courageux témoignage de solidarité vis-à-vis de ceux qui s’immolaient, des enseignants tibétains, des officiels du gouvernement, des écrivains, des moines et des commerçants entreprirent une grève de la faim de trois jours à partir du 26 novembre à Lhassa, Drakgo, Jomda, Dzachukha, Tridu, Serthar, Siling, Kardzé et Chengdu dans le Sichuan. Un autre développement puissant a été le mouvement Lhakar où chaque mercredi des milliers de Tibétains se mobilisent pour des rassemblements formels et informels au cours desquels ceux-ci s’engagent à affirmer leur identité tibétaine en parlant tibétain, en portant le costume traditionnel et en mangeant de la cuisine tibétaine, en un mot en rendant plus visible leur identité tibétaine.

Les immolations ne font que s’inscrire dans la continuité de cet effort de résistance qui lutte contre l’occupation du Tibet et la répression dont sont victimes l’ensemble des Tibétains. Toutefois, ces immolations constituent un nouveau palier dans le désespoir et le ressentiment chez les Tibétains et une exaspération dans ce cycle infernal "agitation, répression, encore plus d’agitation". Le Kashag attribue la responsabilité de la situation actuelle et des immolations à la répression politique et religieuse, à la marginalisation économique, à la discrimination sociale, à l’assimilation culturelle et à la destruction de l’environnement au Tibet.

En dépit des appels répétés de l’Administration Centrale Tibétaine afin que cessent de telles actions destructrices, les Tibétains continuent de s’immoler. Les principales demandes exprimées par les Tibétains demeurent le retour au Tibet de Sa Sainteté le Dalaï Lama et la liberté. Ce sont là les précieuses espérances du peuple tibétain. C’est là également la responsabilité de ceux d’entre nous qui ont la bonne fortune de vivre libres : il nous faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider à ce que se réalisent les souhaits des Tibétains. Par conséquent, nous considérons comme notre devoir sacré de faire entendre dans le monde entier les cris des résistants et de ceux qui s’immolent.

A l’opposé, de façon inévitable, le parti communiste chinois rejette le blâme des immolations sur le leadership tibétain en exil. Blâmer Sa Sainteté le Dalaï Lama et l’Administration tibétaine équivaut à une reconnaissance ouverte par le gouvernement chinois de son incapacité totale à gagner la loyauté des Tibétains malgré plus de 50 ans d’occupation. Ceci reflète également l’échec de Pékin de s’engager dans des choix politiques légitimes et qui, au lieu de cela, rejette constamment le blâme sur les autres.

Dans ma déclaration du 10 mars 2012, j’ai lancé un appel à tous les Tibétains et à leurs amis pour faire de 2012 l’année du lobbying pour le Tibet. Cet appel, en conjonction avec le dévouement des Tibétains et des groupes de soutien au Tibet, a été un succès et nous avons obtenu d’importantes déclarations officielles de soutien de la part de nombreux pays, des résolutions adoptées par des Parlements et par le Congrès de l’Union européenne, par la France, l’Italie et les Etats-Unis, et des déclarations émanant de parlementaires en Australie, au Brésil, au Canada, au sein de l’Union européenne, en France, en Allemagne, en Italie, en Inde, au Japon, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis et d’autres encore.

L’Administration Centrale Tibétaine exprime sa profonde reconnaissance aux Nations Unies et aux différents gouvernements et parlements pour l’intérêt qu’ils portent à la situation de plus en plus préoccupante au Tibet.

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, Navi Pillay, a récemment lancé un appel sans précédent aux dirigeants chinois leur demandant urgemment de répondre aux doléances du peuple tibétain. "Ce n’est pas par l’imposition de mesures sévères de sécurité ni par la suppression des droits que l’on parviendra à une stabilité sociale au Tibet" a-t-elle déclaré le 2 novembre. Mme Pillay a instamment prié le gouvernement chinois de "sérieusement prendre en considération les recommandations émises par différentes organisations internationales pour les Droits de l’Homme et d’avoir recours à l’avis éclairé que peuvent leur donner les experts indépendants des Nations Unies dans le domaine des Droits de l’Homme."

Nous saluons aussi les récents commentaires faits par Gary Locke, ambassadeur américain en Chine, qui s’est rendu en visite dans les régions tibétaines à la fin du mois de septembre et a imploré "les Chinois de rencontrer les représentants du peuple tibétain afin de discuter et de revoir certaines de leurs politiques qui ont entraîné des mesures de restrictions, de la violence et les immolations."

Le 21 novembre, le Commissaire allemand aux Droits de l’Homme a pressé le gouvernement à réformer sa politique au Tibet et a demandé à ce que des observateurs internationaux soient autorisés à visiter les régions tibétaines. Le 27 novembre, le Sénat français a adopté une résolution [9] demandant à l’Union européenne d’accorder la priorité à la question du Tibet dans le cadre du mandat de son nouveau Représentant spécial pour les Droits de l’Homme.

Les actions que nous venons de citer et qui ont été entreprises par des gouvernements ou des institutions sont toutes des initiatives positives bienvenues. Nous exhortons tous les gouvernements étrangers engagés dans des dialogues avec la Chine sur le sujet des Droits de l’Homme à reconnaître que la situation au Tibet s’est détériorée. Nous leurs demandons, ainsi qu’à la communauté internationale, d’intervenir sans tarder pour mettre un terme à la crise au Tibet. Si Pékin met fin à la répression dont les Tibétains sont victimes, alors les immolations diminueront. L’Administration Centrale Tibétaine reste indéfectiblement attachée à l’approche de la "Voie Médiane" et à la reprise du dialogue entre Pékin et Dharamsala pour résoudre la question du Tibet.
La responsabilité de la crise actuelle au Tibet, tout autant que la solution pour en sortir, se trouve du côté du gouvernement chinois.

Nous sommes reconnaissants à nos amis chinois et d’autres ONG chinoises basées en dehors de la Chine pour leur soutien, mais les Tibétains demeurent profondément troublés et attristés par le silence et l’apparente indifférence aux souffrances du peuple tibétain de la part de la majorité des Chinois, en particulier des intellectuels chinois et des leaders d’opinion. La lutte des Tibétains n’est pas dirigée contre la Chine ni contre les Chinois. Ce que cherchent les Tibétains, c’est la liberté et l’obtention d’une véritable autonomie inscrites comme telles dans la Constitution chinoise. J’en appelle à nos frères et sœurs chinois afin qu’ils nous rejoignent pour soutenir les aspirations du peuple tibétain.

Il nous faut bâtir sur le succès obtenu par le lobbying de 2012 et lancer une Campagne de Solidarité avec le Tibet pour l’année 2013. J’appelle toutes les associations pour le Tibet, tous les groupes de soutien au Tibet, toutes les ONG internationales, les croyants de toute religion et les amis de la justice afin que, tous, ils poursuivent leurs actions de lobbying auprès des gouvernements et des parlements en faveur du Tibet et du peuple tibétain. Organisez des rassemblements et des veillées, en particulier dans les capitales et les principaux centres urbains. Envoyez vos demandes au gouvernement chinois afin qu’il autorise l’accès du Tibet aux médias internationaux. Le magazine Time a cité les immolations de Tibétains comme l’un des événements de 2011 le moins souvent relaté par les médias. Faisons changer les choses en contactant les médias et en les poussant à écrire sur l’actualité au Tibet.

Nous déclarons la journée du 17 mai comme étant désormais la Journée de Solidarité au Tibet. En 1995, c’est en effet le 17 mai qu’un enfant alors âgé de 6 ans, Gendhun Choekyi Nyima, qui avait été reconnu par Sa Sainteté le Dalaï Lama comme le 11ème Panchen Lama [10], fut placé en détention par les autorités chinoises. On ne l’a plus jamais revu en public depuis.

Le Kashag et le Parlement Tibétain en exil organiseront conjointement un programme de quatre jours de manifestations, présentations et d’autres activités de solidarité du 30 janvier au 2 février 2013 à New Delhi. Les Kalons [11], les parlementaires tibétains et des représentants de divers camps de réfugiés seront présents.

Pour finir, l’Administration Centrale Tibétaine exprime son éternelle gratitude au peuple et au gouvernement de l’Inde pour leur générosité, leur hospitalité et l’aide apportée aux réfugiés tibétains au cours de toutes ces années. Au nom de tous les Tibétains, nous présentons aussi nos remerciements les plus sincères à nos amis, anciens et nouveaux, à travers le monde. Plus que jamais, nous avons besoin de votre soutien franc et retentissant.

A tous nos frères et sœurs au Tibet, nous disons : "Nous sommes avec vous dans tous les instants. Les trois principes d’unité, d’innovation et d’autonomie  [12] nous serviront de guide jusqu’à ce que nous réalisions notre but de voir le retour au Tibet de Sa Sainteté le Dalaï Lama et la restauration de la liberté pour les Tibétains".

Pour finir, le Kashag et moi-même, nous joignons au peuple tibétain pour souhaiter longue vie et bonne santé à Sa Sainteté le Dalaï Lama. Puissent tous ses souhaits se réaliser.

Dharamsala, 10 décembre 2012

Secrétariat
Bureau du Tibet
84 Boulevard, Adolphe Pinard
75014 PARIS


NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du document officiel. La traduction initiale a également été revue par Tibet-info, ainsi qu’une mise à jour de certaines données modifiées depuis la première traduction (nombre d’immolations, de décès...) afin de correspondre au texte publié sur le site de l’Administration Centrale Tibétaine.

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[1] Voir l’article "Discours d’Oslo 1989 de SS le Dalaï Lama"

[2] Voir l’article et la carte récapitulative des immolations.

[3] Voir les cartes du Tibet.

[4] Suite à un message du Dalaï Lama pendant ses enseignements traditionnels de Kalachakra, à Amaravati, au nord de l’Inde, en 2006, où il avait appelé les Tibétains de l’intérieur de la Chine à protéger les animaux en danger et à cesser d’utiliser les peaux pour leur costume.

[5] Voir l’article "Discours de SS le Dalaï Lama lors de la remise de la Médaille d’Or du Congrès américain, 17 oct. 2007", du 25/10/2007.

[6] Voir la campagne des JO 2008 et l’article "Cas n° 31 - Ronggye A’drak (06 juin ’08)"

[7] Rebkong (Tongren ou 同仁县 en chinois), est situé dans la "Préfecture Autonome Tibétaine de Huangnan (Malho en tibétain)", région tibétaine de l’Amdo et dans l’actuelle province chinoise du Qinghai. Localiser Rebkong (Tongren ou Huangnan) sur cette carte.
- Voir l’article "Plusieurs milliers d’étudiants tibétains manifestent à Rebkong", du 11/11/2012.

[8] Chabcha (Gonghe ou 共和县 en chinois), dans la région tibétaine de l’Amdo, au sud du lac Kokonor, est un district administratif situé dans l’actuelle province chinoise du Qinghai. Chabcha est placé sous la juridiction de la "Préfecture autonome tibétaine" de Tsolho (en chinois : Hainan ou 海南藏族自治州). Localiser Chabcha (Hainan) sur cette carte.
- Voir l’article "Marche de protestation pacifique dans la région de Tsolho, en Amdo", du 14/11/2012

[9] Voir l’article "Résolution du Sénat sur la protection des droits des Tibétains", du 01/12/2012.

[10] Voir le dossier Panchen Lama.

[11] kalon : équivalent de ministre dans l’Administration Centrale Tibétaine

[12] le texte original indique "self-reliance" : savoir compter sur nous-mêmes


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