Interview de Samdhong Rinpoché

Premier ministre du gouvernement tibétain en exil

lundi 4 mars 2002 par Webmestre

Samdhong Rinpoche, le Premier ministre du gouvernement tibétain en exil, répond ici aux questions du rédacteur en chef du site Internet www.rediff.com, publié dans La Lettre du Tibet n. 61 (fév.).
Cette interview, diffusée alors que Sa Sainteté le Dalaï Lama était brièvement hospitalisé dans un hôpital de Mumbai, donne un éclairage intéressant sur le souci de démocratisation et de continuité qui anime le chef de l’Etat tibétain et ceux qui l’entourent.

Samdhong Rinpoche, voulez-vous nous dire quelques mots sur vous même ?
Je suis né dans un village isolé du sud-est du Tibet. Le village était très pauvre et j’appartenais à une famille de paysans pauvres. Je suis entré au monastère à quatre ans et ma vie s’en est trouvée améliorée. A cinq ans, je fus reconnu comme réincarnation du quatrième Samdhong Rinpoche et l’on me donna tous les moyens d’une bonne vie et j’eus la chance de recevoir une bonne éducation. A 12 ans, j’ai quitté ma région natale pour aller suivre des études au Tibet central. Mais lorsque j’eus 20 ans, j’ai dû m’enfuir du Tibet à cause de la répression chinoise et j’ai trouvé refuge en Inde.
Après cela j’ai mené une vie de moine libre pendant environ une année. En Juillet 1960, je fus appelé à Dharamsala par Sa Sainteté le Dalaï Lama, et depuis j’ai travaillé pour les Tibétains en exil à des postes variés. Je suis devenu professeur à l’Institut Central des Hautes Etudes Tibétaines de Bénarès (Varanassi) en 1971 et je le suis resté jusqu’en 2001.

Avant d’être reconnu comme Tulkou, vous souvenez-vous de ce qu’était votre vie ?
Je ne me souviens pas de grand chose. Mes parents travaillaient aux champs et m’emmenaient sur leur dos. Ils me laissaient au pied d’un arbre quand ils étaient au travail et me donnaient du lait de temps en temps. La nourriture ne manquait pas, mais les vêtements et les jouets étaient difficiles à se procurer…

Vous êtes le premier Président du Conseil (Kashag) élu au suffrage universel. Quel était le système auparavant et quelle idée soutenait cette élection ?
Je ne peux pas vous dire exactement ce que Sa Sainteté le Dalaï Lama avait en tête, mais il n’était pas satisfait du système qui l’obligeait à nommer les candidats ministres. Le parlement en exil devait choisir parmi eux et n’était pas libre de les choisir à l’extérieur de cette liste. Sa Sainteté trouvait que cela manquait de respect pour l’opinion ; en effet les parlementaires élus tenaient tout leur pouvoir du peuple alors que ce n’était pas le cas de l’Exécutif. Il voulait donc élargir la légitimité démocratique de ce dernier et l’encourager à décider d’une politique et à mener à bien des projets. Dans le même temps si le Premier ministre disposait du pouvoir de choisir lui même son équipe, il en serait plus sûr de lui et déterminé. C’est en fonction de ces considérations que sa Sainteté a décidé des changements intervenus en mars 2001. A cette époque, j’avais décidé de me retirer de la vie publique.
Le nouveau système a été présenté au Parlement juste à la fin de ma présidence de ce dernier. Suivant les conseils de Sa Sainteté, le Parlement amenda la constitution pour pouvoir faire élire le Premier ministre au suffrage universel. Et, par chance ou par malchance, je fus choisi à ce poste.

Ainsi, une fois élu, vous pouvez composer votre équipe ?
Oui, mais je dois la faire approuver par le Parlement. Si quelqu’un présente des objections, il y a un vote. Si le candidat obtient plus de 50%, il ou elle peut demeurer, sinon je dois choisir un nouveau candidat. C’est un peu comme dans le système américain.

Vous avez maintenant un Parlement, un gouvernement et un système politique qui se tient... mais que peut-il faire pour tous ceux qui sont au Tibet ? Quelle influence peut-il avoir sur le peuple de l’intérieur ?
Le gouvernement tibétain en exil, en tant que tel, a peu d’occasions et de moyens de travailler au Tibet ou d’y mener une action. Mais les Tibétains au Tibet croient profondément que le gouvernement en exil en Inde, sous l’autorité de Sa Sainteté, est leur gouvernement légitime, tandis que le gouvernement au Tibet, contrôlé par la Chine est illégal et illégitime.
Ainsi lorsque des réformes et des améliorations se produisent au sein du gouvernement en exil, cela les encourage et les inspire grandement. Ils pensent toujours que lorsque le pays sera libre ou autonome, ce gouvernement ou le système mis en place ici sera implanté au Tibet. Il aura, d’ici là acquis l’expérience et l’expertise pour aller de l’avant dans le processus démocratique.
Il s’ensuit que les gens qui vivent au Tibet sont parfois plus concernés par tout cela que ceux qui vivent à l’extérieur. Les gens qui sont à l’extérieur ne se sentent pas très concernés par l’administration de Dharamsala parce qu’ils vivent dans des pays libres, mais les gens qui sont au Tibet gardent un oeil attentif et un haut niveau de conscience de ce qui se passe ici.
Pendant les élections, j’ai tenté de retirer ma candidature, mais j’ai reçu tant de messages émouvants, venant du Tibet et me demandant de n’en rien faire que sous leur influence, j’ai pris la décision de continuer et d’accepter cette élection. C’étaient des messages plein d’émotion, pas des votes, car, bien sûr ils ne pouvaient pas réellement voter.

Ce qui veut dire que seuls les Tibé-tains hors du Tibet ont pu voter dans cette élection. Combien sont ils ?
Environ 52 % des électeurs inscrits ont confirmé leurs votes sur une soixantaine de mille.

La nervosité augmente chez les jeunes Tibétains à propos du choix d’une stratégie non violente. Comment pourriez-vous le justifier à leurs yeux ?
La non violence est la seule option pour les Tibétains. Il faut considérer cela sous deux angles.
D’abord, Sa Sainteté et ceux qui le suivent voient là une position de foi, ou une attitude moralement justifiable. La non violence est le seul moyen d’obtenir un résultat durable, et même si la violence peut être d’une certaine efficacité, cela ne durera pas.
D’autre part, si vous voyez les choses en termes de stratégie et non plus de foi, là aussi la non violence est plus efficace, moins coûteuse et provoque moins d’effets contraires. Même si vous croyez en la violence, et que vous prenez en considération le potentiel des chinois face à une poignée de Tibétains, elle est pratiquement impossible. C’est pourquoi ce chemin de la non violence nous a donné beaucoup de satisfactions et nous a permis d’accomplir plus encore que nous n’espérions.

Mais quelles réalisations tangibles pouvez-vous afficher face aux jeunes ?
Si vous regardez l’histoire de tous les pays colonisés dans le monde, aucun n’a obtenu la liberté avant quarante, cinquante ans, parfois un siècle ou plus. L’Inde, par exemple, a dû se battre pendant plus de trois cents ans pour recouvrer son indépendance. Bien que cela puisse sembler long pour un individu, 50 ans ou 42 ans ne sont qu’un petit laps de temps dans l’histoire des nations. Mais dans ce petit laps de temps, nous avons porté la question du Tibet sur la liste des priorités, au plus haut niveau de la communauté internationale comme dans des actions quotidiennes.
Il n’y a pratiquement pas de pays où des groupes de soutien n’aient vu le jour et ne travaillent activement, en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique, en Europe. Ils travaillent bénévolement, avec leurs moyens propres. Cela n’a été possible que dans la mesure où les Tibétains demeuraient non violents. Autrement, il aurait pu y avoir une certaine catégorie de gens qui nous auraient aidés avec des armes et des munitions, entraînant nos jeunes à la guerre de guérilla, mais cela ne nous aurait pas apporté l’immense soutien et la sympathie dont nous jouissons dans le monde.

Mais tandis que cette lutte se poursuit, on dit que les Chinois sont en train de bouleverser la situation démographique au Tibet et que les Tibétains pourraient devenir bientôt minoritaires dans leur propre pays.
Ils sont déjà en minorité. La Chine fait tout pour submerger les Tibétains au Tibet, mais ces transferts forcés de population ne sont pas solides.
S’il y avait un changement de scénario politique, beaucoup de Chinois voudraient rentrer chez eux. Ils ne souhaitent pas vivre au Tibet. Ils ont des problèmes avec le climat tibétain, donc en cas de changement, ils ne seraient pas à leur aise, socialement et émotionnellement. Et puis même aujourd’hui, les Chinois n’ont réellement changé l’équilibre démographique que dans les zones urbaines, pas à la campagne. Ils n’ont pas réussi à bouleverser les choses dans les sociétés nomades.

En principe, le Dalaï lama n’est pas autorisé à avoir une activité politique sur le territoire indien. Ces élections ne constituent-elles pas une activité politique ?
En 1959, le gouvernement indien a informé Sa Sainteté qu’aucune activité dirigée contre la Chine ne pourrait être menée en Inde. Nous nous en sommes tenus très scrupuleusement à cette règle et n’avons rien fait de contraire au cours des 42 ans écoulés...
Je ne pense pas que les Chinois puissent dire quoi que ce soit à propos de ces élections. S’ils les reconnaissaient comme valables, ils pourraient prétendre qu’il s’agit d’une activité politique. Mais comme ils ne reconnaissent même pas l’existence de notre gouvernement en exil, quoique nous fassions, cela n’a pas d’importance. S’ils disent qu’il s’agit de l’action d’un gouvernement en exil, alors ils reconnaissent notre existence indirectement.
Il est arrivé quelque chose dans ce genre il y a quelque temps. Les Chinois se sont plaints du déploiement du drapeau national tibétain.
Alors quelqu’un leur a demandé : « vous reconnaissez ce drapeau comme un drapeau national ? »
Ils ont répondu « non », alors on leur a rétorqué « s’il s’agit juste d’un morceau de tissu, quelle raison avez-vous de vous y opposer ? »

Quels sont les papiers d’identité dont disposent les Tibétains réfugiés en Inde, notamment lorsqu’ils veulent voyager à l’étranger ?
Nous avons un certificat d’identité fourni par le gouvernement indien selon la législation sur les personnes privées d’état. Selon cette législation, le pays d’accueil a le droit de fournir de tels certificats et la plupart de nos concitoyens en ont un. Nous appelons cela une « carte jaune ». C’est un peu comme les autres passeports sauf qu’à la rubrique nationalité il est écrit « apatride, réfugié en Inde » . On peut, sur ce document, obtenir des visas pour différents pays. Nous pouvons également obtenir la mention NORI (no objection to return to India), mais si nous voyageons à l’étranger, nous perdons notre carte de résident, aussi devons-nous demander un visa pour l’Inde là ou nous nous trouvons. Normalement c’est assez simple et nous l’obtenons immédiatement dans les pays d’Europe.

Vous n’avez donc pas la nationalité indienne ?
Non, mais nous avons le droit de devenir citoyens indiens, car nous résidons ici depuis si longtemps.

Est-ce que certains en ont décidé ainsi ?
Peu, ceux qui occupent des emplois dans l’administration indienne, sinon ce n’est pas nécessaire.

Prendre la nationalité d’un autre pays, est-ce risquer de perdre sa motivation pour la cause du Tibet ?
Pas nécessairement. Nous avons inclus une clause dans notre constitution qui stipule que ceux qui ont ressenti le besoin de devenir citoyens d’une autre nation, mais gardent leur foi dans la cause tibétaine, peuvent conserver leur nationalité tibétaine s’ils continuent à payer l’impôt volontaire au gouvernement tibétain en exil.
Dans les pays occidentaux il s’élève à environ $80 par an. En Inde, au Bhoutan, au Népal c’est environ 80 Roupies par an. Ceux qui paient ont un livret vert ; tant que vous l’avez, vous gardez votre nationalité tibétaine. Si vous ne l’avez pas, vous ne serez pas vraiment considéré comme Tibétain. Ce système a débuté en 1971 et plus de 90% des réfugiés ont cette carte. Le nombre des électeurs inscrits est inférieur, mais pour s’inscrire, il faut commencer par avoir la carte.

Et où va l’argent ?
A Dharamsala ; c’est la base de notre budget annuel.

Et en ce qui concerne les autres ressources, donations, offrandes ?
Tout est versé au fond d’épargne du gouvernement tibétain en exil. Nous ne pouvons dépenser que ce qui rentre dans ce fonds et le budget doit être approuvé par le parlement en exil.

A part en Inde, dans quelles régions du monde le mouvement est-il puissant en ce moment ?
Au niveau gouvernemental et administratif, les Etats-Unis sont en tête. Le Congrès américain a adopté plusieurs résolutions ordonnant à l’administration de se préoccuper de la cause tibétaine. Ils ont désigné un coordinateur spécial pour le Tibet. Ils soulèvent la question tibétaine à chaque discussion sur les droits de l’homme ou l’environnement. Le gouvernement américain plaide en faveur de l’ouverture de négociations sans conditions entre la Chine et le Dalaï Lama, et cela depuis pas mal de temps ; l’administration Clinton a agi dans ce sens à plusieurs reprises. Il y a également l’Union européenne ; plusieurs pays ont adopté des résolutions parlementaires en faveur du Tibet : le Royaume Uni, la Norvège, l’Italie, l’Allemagne. Le Canada soulève toujours la question tibétaine lors de rencontres avec la Chine.

Mais aucune nation ne reconnaît officiellement le gouvernement en exil ?
Non. La reconnaissance n’est pas une chose aisée. La plupart des nations dans le monde ont des relations diplomatiques avec la Chine et la première condition que celle-ci impose aux gouvernements est de déclarer que le Tibet est partie intégrante de la République Populaire.

La reconnaissance servirait-elle votre cause ?
Pour le moment je ne pense pas que cela changerait grand chose. Cela mettrait un peu de pression sur la Chine, mais ce ne serait pas suffisant pour provoquer un changement. Je ne pense pas que la communauté internationale puisse faire autre chose que d’exercer une pression constante ou de persuader le peuple chinois de négocier avec Sa Sainteté pour trouver une solution authentique au problème. C’est la seule voie.

Source : Lettre du Tibet n. 61, fév 02


<:accueil_site:> | <:info_contact:> | <:plan_site:> | [(|?{'',' '}) | <:icone_statistiques_visites:>
<:info_visites:>

<:icone_suivi_activite:> fr  <:icone_suivi_activite:>   <:icone_suivi_activite:>    ?    |    <:ecrire:titre_sites_syndiques:> OPML   ?

<:site_realise_avec_spip:> 2.1.13 + AHUNTSIC

https://www.traditionrolex.com/4