L’écrivain et prisonnier politique Shokjang fait appel de sa condamnation dans une lettre ouverte

mardi 12 avril 2016 par Monique Dorizon , Rédaction

Shokjang, aussi appelé Druklo, a été condamné à 3 ans de prison et 2 ans de suspension de ses droits politiques, le 17 février 2016, par la Cour populaire intermédiaire du Comté de Rebgong [1] [2].

Cette condamnation avait suscité la tristesse des internautes et des témoignages de son innocence.
Shokjang a été secrètement arrêté le 19 mars 2015, en même temps qu’un de ses amis, Tashi Rabten (Teurang), depuis libéré [3].

Shokjang est connu pour ses articles portant sur les problèmes tibétains contemporains, notamment la politique ethnique chinoise et la relocalisation des nomades. Précédemment à sa détention, il avait écrit "à propos de la présence accrue des forces de sécurité armées chinoises dans la région de Rebgong et de la répression exercée sur les Tibétains", a déclaré une source.
Le mois de son arrestation, Shokjang avait également écrit un article sur la situation d’une école du Comté de Kangtsa [4].

Shokjang fait partie des 23 journalistes et 83 blogueurs que le Parti communiste chinois a mis derrière les barreaux en 2015 [5].
Dans une lettre manuscrite de 17 pages, datée du 24 février 2016, rédigée en tibétain, Shokjang fait appel de sa condamnation devant la Haute Cour populaire du Qinghai, en faisant valoir que ses écrits sont protégés par la loi chinoise. Cette lettre a circulé dans les réseaux sociaux chinois.

Dans sa lettre au tribunal provincial, Shokjang explique en termes clairs la manière arbitraire et illégale avec laquelle il a été détenu, interrogé, inculpé et condamné.
Vers minuit, le 16 mars 2015, alors qu’il était descendu dans un hôtel de la ville de Rebgong, deux officiers brandissant des armes à feu, l’un portant l’uniforme du Bureau de la Sécurité Publique (PSB) et l’autre un uniforme de la Police armée, ont fait irruption dans sa chambre et fouillé ses affaires.
Le 19 mars, il a été arrêté par des agents de police du Comté de Rebgong et emmené au Centre de détention du Comté le 20 mars. Ce ne fut que le 5 mai que les autorités ont admis qu’ils avaient arrêté Shokjang.

Le 21 juillet 2015, la Cour populaire intermédiaire de Malho [6] a organisé un procès, mais celui-ci a dû être ajourné pendant plus de sept mois car Shokjang refusait d’accepter qu’il avait commis un crime. Un deuxième procès a eu lieu le 17 février 2016, lors duquel il a été condamné à trois ans d’emprisonnement et privé de ses droits politiques pendant deux ans.
Le texte de la lettre de Shokjang expose l’absurdité des accusations portées contre lui et révèle un partage de sentiment avec les Chinois et les Tibétains qui subissent de semblables épreuves.

Dans sa lettre ouverte, il écrit : "La Chine est un vaste pays avec 56 nationalités différentes, et les Tibétains sont l’une des plus grandes minorités. Je suis un citoyen chinois, et en tant qu’intellectuel tibétain, je dois être concerné par les vies précieuses de mon propre groupe. Si faire cela est qualifié d’« instauration du séparatisme », rien n’est plus risible".
"Je pourrais allégrement et volontairement purger ma peine, mais je ne veux plus jamais être une personne qui ne tient pas compte de la vie de ses frères et sœurs. S’il faut le faire, je ferais la même chose pour nos frères et sœurs chinois".

La lettre ouverte de Shokjang détaille pour la première fois les éléments de l’affaire menée contre lui, que la Cour populaire de Malho au Qinghai décrit comme une "incitation à la scission de la nation".
Dans sa lettre, Shokjang fait une analyse nuancée et sophistiquée contre le fait de qualifier ses écrits de "séparatistes", en se concentrant sur l’utilisation du mot "instigation" ou "incitation" au "séparatisme" " :
"Si l’on parle « d’instigation » au séparatisme, je n’ai pas écrit un seul mot de séparatisme, encore moins instigué celui-ci. Si j’écris au sujet d’un incident dans lequel je souffre d’un préjudice, et qui devient une accusation non fondée contre moi, et si j’écris un appel à la cour au sujet de l’incident, cela ne fait pas de moi un séparatiste. Impuissant, soumis à une punition qui s’insinue en vous plus vous y pensez, je fais appel auprès de la Cour populaire supérieure afin de chercher l’objective vérité".

Shokjang rappelle que la Constitution chinoise garantit la liberté d’expression, permettant d’exprimer son point de vue par écrit.
Dans son argumentation précise et motivée, Shokjang souligne que son droit à l’expression écrite est inscrit et protégé par la Constitution chinoise. Il écrit que s’il est un "séparatiste", alors, le sont aussi potentiellement, les touristes chinois et tibétains qui postent sur les médias sociaux des observations au sujet de leurs expériences au Tibet : "Si de telles situations dans la sphère culturelle se transforment en questions politiques graves, questions de séparatisme national, cela fait-il des visiteurs des deux nationalités postant sur Internet des photos et d’autres observations sur la situation au monastère de Kumbum des auteurs de séparatisme ? Selon cette logique, seule une minorité de la population ne serait pas considérée comme séparatistes ou instigateurs de séparatisme".

Shokjang fait aussi part de l’approche pacifique des Tibétains face à leur situation, en soulignant que la raison pour laquelle il a reproduit l’extrait d’un livre sur les manifestations de 2008 rédigé par un autre écrivain tibétain, Tagyal (nom de plume : Shokdung, lui aussi emprisonné), est que : "Je ne veux plus voir une telle effusion de sang tragique. Je ne me battrai jamais pour obtenir mon propre bonheur en versant le sang des autres".

Une source demandant l’anonymat rapporte "qu’ il a présenté des excuses au cas où ce qu’il avait écrit aurait violé les dispositions spécifiques de la Constitution à son insu".
"Il a également dit que sa femme et ses enfants comptent les minutes et les secondes jusqu’à son retour, et qu’il espère donc une décision rapide et positive de la Cour d’appel", a déclaré la source. "La famille de Shokjang n’a pas été autorisée à lui rendre visite depuis qu’il a été arrêté", a-t-elle ajouté.
Shokjang est toujours emprisonné à Rebgong et n’a toujours pas été transféré dans une prison.

Voir le texte intégral traduit en anglais de la lettre de Shokjang.

Sources : Radio Free Asia, 4 avril 2016, International Campaign for Tibet, 4 avril 2016, TCHRD, 7 avril 2016.

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[1] Rebkong ( རེབ་གོང་ en tibétain, Tongren ou 同仁县 en chinois), est situé dans la "Préfecture Autonome Tibétaine de Huangnan (Malho en tibétain)", région tibétaine de l’Amdo et dans l’actuelle province chinoise du Qinghai. Localiser Rebkong (Tongren ou Huangnan) sur cette carte

[2] Voir le cas de Shokjang sur le site Tibetlib.

[3] Voir le cas de Tashi Rabten sur le site Tibetlib.

[4] Kangtsa (Jiangzhaxiang en chinois) est un district du xian de Zoigé ( Ruò’ěrgài ou 若尔盖县 en chinois), dans le nord de la région tibétaine du Kham, à la limite de l’Amdo, dépendant de la "Préfecture Autonome Tibétaine et Qiang" de Ngaba, dans l’actuelle province chinoise du Sichuan. Localiser Kangtsa (Jiangzhaxiang) sur cette carte.

[5] Voir l’article (en anglais) "China Holds 23 Journalists, 84 Bloggers in 2015 : Press Freedom Report" sur Radio Free Asia.

[6] La "Préfecture Autonome Tibétaine" de Malho (en chinois Huangnan, 黄南藏族自治州) est située dans l’actuelle province du Qinghai, autrefois région tibétaine de l’Amdo.
Localiser la "Préfecture Autonome Tibétaine de Malho" sur cette carte


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