La diplomatie du dialogue

Entretien avec Lhasang Tsering, juillet 2005

dimanche 10 juillet 2005 par Rédaction

Lhasang Tsering est un écrivain tibétain, ancien président du Tibetan Youth Congress (Congrès de la jeunesse tibétaine)

Q : Comment comprenez-vous la "reprise du dialogue" avec la Chine et les "signes positifs" manifestés par celle-ci depuis 2002 ? Quel est votre avis sur les trois délégations qui se sont rendues en Chine et au Tibet ? [1]

L.T : La première chose que nous devons comprendre au sujet de la soi-disant "diplomatie du dialogue" entre Pékin et Dharamsala, c’est que nous avons uniquement affaire à des "discussions à propos de discussions" en guise de "pourparlers", mais en aucun cas à un dialogue significatif. Cela parce que la Chine n’a essentiellement aucun besoin de discuter avec les Tibétains. Dans ce cas, il faudrait se demander pourquoi alors les Chinois invitent-ils et reçoivent-ils les "envoyés du Dalaï Lama" ? La vérité toute simple est que cela constitue une part importante de la stratégie chinoise pour gagner du temps.
De même pour les discussions à propos de la "reprise du dialogue", suite à la visite à Pékin des envoyés spéciaux du Dalaï Lama en 2002 [2]. Il s’agissait selon moi d’un stratagème habile des Chinois pour déjouer la résolution très importante du Parlement européen sur le Tibet, qui déclarait que les Etats membres de l’UE devraient sérieusement considérer la reconnaissance du gouvernement tibétain en exil si, dans un délai de trois ans, la Chine n’entrait pas dans des négociations substantielles avec le Dalaï Lama pour parvenir à un nouveau statut pour le Tibet.
Depuis le tout début, mon sentiment a été que la visite des délégations tibétaines en Chine et au Tibet était une erreur. La dure réalité à laquelle est confronté le peuple tibétain aujourd’hui est que la politique chinoise de transfert de population a atteint un seuil critique. Le fait est que le temps presse pour le Tibet, la Chine cherche à gagner du temps et la visite de délégations en Chine ainsi que les discussions à propos de "signes positifs" jouent en faveur des Chinois.

Q : Quelle stratégie préconisez-vous pour favoriser l’ouverture de négociations ? Celles-ci sont-elles nécessaires et selon quels objectifs ?

L.T : Il m’est impossible de comprendre l’idée d’une "stratégie pour parvenir à des négociations". Telles que je les considère, les négociations sont un moyen pour parvenir à une fin et non pas une fin en soi. Cela pour dire que les négociations peuvent seulement faire partie d’une stratégie plus large, et le simple fait de tenir des négociations, sans un but clair et précis, n’est au mieux qu’une perte de temps.
Je pense aussi que des négociations substantielles peuvent avoir lieu uniquement s’il y a un besoin partagé par les deux parties pour parvenir à une solution négociée. Au regard de l’occupation du Tibet par la Chine, je ne vois aucune raison pour celle-ci d’abandonner ne serait-ce qu’une infime partie de son contrôle absolu sur le Tibet, ni d’ouvrir des négociations avec des réfugiés tibétains. Encore une fois, ce qui se passe maintenant, ce ne sont pas des négociations, ce ne sont que des discussions à propos de discussions. Et cela se produit simplement parce que la Chine fait d’une pierre, non pas deux, mais trois coups.
- D’abord, la Chine a efficacement neutralisé la lutte tibétaine en laissant les dirigeants tibétains espérer et attendre, ce qui en retour a plongé les Tibétains dans la confusion.
- Ensuite, en "discutant sur des discussions" et en invitant régulièrement les "envoyés spéciaux de Sa Sainteté le Dalaï Lama" à Pékin, la Chine a aussi efficacement mis en échec la possibilité d’une implication internationale dans la question tibétaine.
- Enfin, le résultat de laisser espérer et attendre la direction tibétaine, et par conséquent d’écarter toute implication internationale dans la question tibétaine, est que la Chine obtient le temps nécessaire pour transférer toujours plus de colons chinois au Tibet. Le chemin de fer atteindra Lhassa en 2007, plus tôt encore estiment certains. [3] Bientôt, il y aura tant de Chinois au Tibet qu’il sera dénué de sens de parler d’un Tibet pour des Tibétains.
Je pense qu’il n’est pas possible de développer une stratégie unifiée pour dépasser un problème sans avoir d’abord une acceptation et une compréhension claire de la nature du problème. Ainsi, avant de pouvoir mettre en place une stratégie significative, c’est un préalable que le peuple tibétain, et par-dessus tout les dirigeants tibétains, comprennent et acceptent d’abord le fait que la Chine n’abandonnera jamais volontairement et de son plein gré son contrôle sur le Tibet. C’est pourquoi il nous faut établir et appliquer un plan d’action qui déstabilise suffisamment la Chine, sinon pour qu’elle quitte le Tibet sans délai, du moins pour la forcer à venir à la table des négociations.

Q : Le gouvernement tibétain en exil a-t-il la volonté ou les moyens de réviser sa ligne politique ? Cela est-il souhaitable ?

L.T : Je ne suis pas en position de dire si oui ou non le gouvernement tibétain en exil a la volonté de revoir sa politique actuelle. Mais il a certainement les moyens de le faire dès l’instant où il bénéficie de la confiance d’une majorité écrasante de Tibétains. [4] Et je ne vois aucun autre facteur capable de l’empêcher de prendre ses propres décisions. De plus, il ne s’agit pas à mes yeux d’une question de volonté. Car le gouvernement tibétain a le devoir de répondre au droit et au désir du peuple tibétain à la liberté et à l’indépendance.
Peut-être devrais-je ajouter ici que le désir du peuple tibétain à l’intérieur du Tibet devrait être on ne peut plus clair pour le gouvernement tibétain en exil, au regard du fait que toutes les protestations et toutes les manifestations au Tibet, dans lesquelles de très nombreux Tibétains ont été tués et plus encore ont été emprisonnés, ont toutes été pour la liberté et non pas pour l’autonomie.
Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel des choses, je ne vois aucun signe comme quoi le gouvernement tibétain en exil est en train de considérer une quelconque déviation de la politique de la voie médiane. Et bientôt il sera trop tard.


Propos recueillis par Mathieu Vernerey, magazine Diplomatie n° 15, juillet-août 2005, avec son aimable autorisation.

[1] Voir la chronologie des contacts sino-tibétains depuis 1979.

[2] La première rencontre eut lieu le 9 sept. 2002.

[3] La ligne de 4 561 km reliant Pékin à Lhassa en deux jours fut de fait ouverte le 1er juillet 2006.

[4] Voir l’article Réunion d’exilés tibétains à Dharamsala sur l’avenir de la cause tibétaine en novembre 2008.


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