Le dernier maoïste de France

Réponse à Jean-Luc Mélenchon

lundi 14 avril 2008 par Jean-Paul Ribes

Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l’Essone, aime que l’on parle de lui. Bien qu’élu du parti socialiste, il n’hésite pas à faire ouvertement campagne contre son parti quand ça l’arrange, l’essentiel étant de se singulariser par des positions, souvent outrancières, sur les sujets les plus variés.
Aujourd’hui, devant le grand mouvement de sympathie pour le Tibet qui se manifeste en France et un peu partout dans le monde, il fallait bien que quelqu’un se dresse, à contre-courant, comme le champion de la Chine calomniée. Le sénateur s’est donc instruit sur la question... mais aux plus mauvaises sources. A savoir, la petite collection de brochures de propagande diffusée par l’ambassade de Chine.
D’où ses chiffres fantaisistes, ses dates inexactes, ses affirmations aussi fausses que péremptoires. Le tout baignant dans un éloge vibrant de la politique chinoise, non seulement au Tibet, mais en Mongolie, au Turkestan oriental (ch. : Xinjiang), et une approbation à peine voilée des mesures de répression à l’égard des dissidents ou des adeptes de Falung Gong (une secte, donc pas vraiment des humains) torturés et croupissant en prison.
Si le bouillant défenseur de la bureaucratie pékinoise avait un peu le souci de l’équilibre, nous lui conseillerions de se mettre vraiment au travail en allant s’informer, non seulement auprès des "fanatiques du Dalaï Lama" que nous sommes à ses yeux (la fameuse "clique" n’est pas loin) mais des universitaires les plus qualifiés, experts d’une histoire, d’une langue et d’une culture auxquelles ils consacrent leur vie et leur intelligence. Plus de cinq-cents d’entre eux, de Varsovie à Oslo en passant par Hong Kong, Paris et Washington, viennent d’ailleurs d’adresser une lettre sans équivoque au président chinois M.Hu Jintao.
- Premier ouvrage dont nous lui recommandons instamment la lecture " Le Tibet est-il chinois ? " [1], paru en 2002 chez Albin-Michel sous la direction d’Anne-Marie Blondeau et de Katia Buffetrille, et qui regroupe les contributions de tibétologues mondialement reconnus.
Il y découvrirait que la prétention d’appartenance du Tibet à la Chine depuis le IXème siècle, qu’il a glanée dans ses lectures approximatives, est une idée récente, et qui n’a vraiment cours que depuis une cinquantaine d’années, depuis qu’elle a été imposée par le PC chinois.
Même Mao Zedong avait quelques doutes sur la question, puisque, dans ses années de lutte pour le pouvoir, il reconnaissait aux Tibétains le droit à leur drapeau, et son projet constitutionnel accordait aux "nationalités" le droit à l’autodétermination.
Pour faire court voici ce qu’affirment les universitaires compétents.
Lié aux empereurs mongols (dynastie Yuan), lors de leur arrivée au pouvoir en 1271 par un accord spécifique (Chö-Yon) dit de "maître spirituel à bienfaiteur", le Tibet ne figure pas comme faisant partie du domaine impérial dans les très officielles "annales des Yuan". Pas plus qu’il ne figure dans les "annales des Ming", la dynastie qui devait succéder aux Yuan en 1368.
Avec l’arrivée des Mandchous (dynastie Qing) en 1644 les choses se sont lentement modifiées, notamment sous le règne de Qianlong (1735-1796) où l’on voit apparaître l’idée d’une suzeraineté de l’empereur sur le Tibet. En quelque sorte le "bienfaiteur" devient "protecteur" et le Tibet un "protectorat", sans pourtant que cela prête vraiment à conséquence sur le terrain. La présence symbolique des ambans (envoyés de l’empereur) et l’entretien épisodique d’une petite garnison (quelques centaines d’hommes), à qui était exclusivement confiée une tâche de défense extérieure devant être perçue comme relevant d’un consentement mutuel plus que d’une domination par le pouvoir central.
L’érudit sénateur pourrait-il par exemple nous citer une seule "mesure de gouvernement" imposée par l’empereur, comme les rois de France pouvaient en prendre dans leurs provinces ?
Un pouvoir central qui ira en s’affaiblissant au cours du XIXème siècle au point que le corps expéditionnaire envoyé par la couronne britannique en 1904 et commandé par le lieutenant-colonel Younghusband ne trouvera en face de lui pas l’ombre d’un soldat chinois !
En revanche, la première et sanglante tentative d’annexion du Tibet en 1906 par les troupes de Zhao Erfeng, le "boucher du Kham" se terminera par une déroute en 1911, avec la chute de la dynastie mandchoue.
C’est donc tout naturellement que, de retour dans sa capitale Lhassa, le XIIIéme Dalaï Lama pourra déclarer l’indépendance du Tibet et (point 5 de la déclaration) limiter considérablement le système des fermiers "attachés à la terre" en affirmant : "nul n’a le droit d’empêcher quiconque de cultiver toute terre vacante", allant même jusqu’à utiliser, bien avant d’autres, cette formule : "la terre appartiendra au cultivateur".
Le Tibet va donc frapper monnaie, produire ses propres timbres, délivrer des passeports, bref s’attribuer les instruments de tous les pays indépendants. Une indépendance que la Commission des juristes qui siège à Genève, avec statut consultatif à l’ONU, décrira ainsi dans son rapport de 1960 : "le Tibet était au moment de la signature de l’accord en dix-sept points en 1951 un Etat indépendant de facto... Il a démontré de 1913 à 1950 qu’il présentait les conditions d’un Etat, telles qu’elles sont généralement acceptées par la loi internationale".
Le seul reproche que l’on puisse faire aux Tibétains de l’époque, par négligence ou mauvaise connaissance du terrain diplomatique, c’est de n’avoir pas transformé ce "de facto" en "de jure", comme avait su le faire la Mongolie, dite extérieure.

Sur la question du régime politique et social qui prévalait au Tibet avant l’invasion chinoise de 1950, personne ne prétend qu’il était un modèle de justice et de modernité. Tout n’allait pas pour le mieux au Pays des Neiges. Il fallait réformer. Mais les meilleures réformes ne sont-elles pas celles auxquelles le peuple consent ?
Le XIVème Dalaï Lama, dès son installation dans ses fonctions en 1950, avait fermement exprimé son souhait de s’atteler à la tâche et de sortir son pays de l’archaïsme. L’invasion chinoise ne lui en laissera pas le temps.
L’ébauche de constitution qu’il promulgue en 1963, dès son arrivée en exil, est d’ailleurs une preuve évidente de sa détermination démocratique, puisqu’il y est prévu que les députés et même les membres du gouvernement, y soient élus au suffrage universel.
En revanche, parer le régime chinois de toutes les grâces, lui qui n’accorde aucun droit de vote à ses citoyens, et même pas celui de s’exprimer sur internet (mémento Hu Jia), notre gaucho sénatorial y va un peu fort. Et de lui attribuer, dans la foulée, toutes les vertus émancipatrices que revendiquent les régimes coloniaux, à commencer par la France lorsqu’elle régnait Outre-mer. Le brouillon sénateur ne s’embarrasse d’ailleurs pas de ses propres contradictions ; lui qui se montre si critique de l’importation armée de la "démocratie" américaine en Irak, ne trouve rien à redire à l’imposition du communisme au bout des baïonnettes chinoises au Tibet, et ce depuis un demi-siècle.

Enfin là où l’ignorance devient carrément de la mauvaise foi partisane, c’est lorsque le Mao du Sénat reprend quasiment mot à mot les thèmes qui lui sont soufflés par l’ambassade de Chine sur la "volonté de restaurer la théocratie" du Dalaï Lama et autre balivernes mensongères.
Dans toutes ses déclarations sur l’avenir de son pays, le dirigeant tibétain affirme clairement sa volonté de n’assumer aucun rôle au pouvoir lorsqu’il reviendra au Tibet, celui-ci devant être issu exclusivement des urnes, dans le cadre d’une constitution laïque et démocratique.
Quant au régime social, c’est en France, devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, présidée à l’époque par Jack Lang et devant un Edouard Balladur ébahi, que nous avons tous entendu le Dalaï Lama affirmer avec une certaine audace que son choix se portait résolument vers un système socialiste. Affirmation qu’il complétait dans le Nouvel Observateur du 17 janvier 2008 en se décrivant comme "un marxiste en robe bouddhiste". On comprend que cela puisse déplaire au sénateur de gauche. Enfin, la robe de moine. Car il préfère sans doute réserver l’appartenance marxiste aux vareuses des commissaires politiques, aux complets-vestons des businessmen et aux uniformes des militaires, zélés défenseurs du capitalisme chinois.
Qu’on nous pardonne notre ton parfois polémique, il ne cache ni hargne ni colère. Simplement notre souhait de voir l’élu de la République s’obliger à un peu de retenue dans ses propos, appliquant la consigne que tous les journalistes dignes de ce nom partagent : "qui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole". Inutile de lui préciser l’auteur de cette citation.
Qu’il sache en outre (voir notre article du 10 avril sur tibet-info.net) que nous n’agissons jamais par haine de la Chine, attachés que nous sommes à la liberté de ce grand peuple, que nous ne sommes pas des "indépendantistes tibétains" et encore moins des "agitateurs professionnels" comme l’affirme la langue de bois pékinoise. S’il veut s’en convaincre, et à moins qu’il ne calque son attitude sur l’horreur du dialogue propre aux dirigeants chinois, nous sommes, cela s’entend, parfaitement disposés à le rencontrer. En toute bonne foi.
Jean Paul Ribes


Petite bibliothèque à l’usage de l’élu qui veut savoir de quoi il parle sans limiter sa connaissance à "Tintin au Tibet" ou aux brochures de propagande :
- "Histoire du Tibet", Laurent Deshayes : Fayard, 1997 [2]

- "Le Tibet est-il chinois ?", Anne-Marie Blondeau, Katia Buffetrille : [1], Albin Michel, 2002
et bien sûr les deux excellents rapports publiés dans le cadre des documents de travail du Sénat :
- "Tibet, un peuple en danger" (GA 50, Octobre 2003)
- "Quelle solution politique pour le Tibet ?" (GA77, Octobre 2007)

articles récents :
- "Tibet, le défi à la Chine", Le Nouvel Observateur, janvier 2008
- "Bourgeonnement précoce du printemps de Lhassa", Le monde diplomatique, avril 2008
- interview de M. Ricard dans Le Monde
et pour une information quotidienne : www.tibet-info.net

[1] Le Tibet est-il chinois ? sous la direction d’Anne-Marie Blondeau et de Katia Buffetrille.
Pour la première fois, des chercheurs du monde entier se sont réunis pour donner au lecteur une connaissance aussi exacte et pondérée que possible du Tibet. Symbole en Occident d’une prestigieuse tradition spirituelle "orientale", ce pays est aussi, depuis la "libération pacifique" chinoise dans les année ’50, l’objet de polémiques, de propagande et contre-propagande, entre Chinois, Tibétains en exil, Tibétains du Tibet et Occidentaux. Tout en reconnaissant dans son titre, Le Tibet est-il chinois ?, l’enjeu essentiel de ces affrontements, cet ouvrage ne cède à aucun parti pris et recherche seulement l’objectivité. La genèse de l’ouvrage est liée à une réaction de spécialistes occidentaux à la publication, en 1988 d’un pamphlet chinois intitulé "Le Tibet, cent questions et réponses". Ce document affirmait présenter le résultat des recherches des tibétologues chinois sur les points controversés de l’histoire tibétaine et de la politique chinoise au Tibet. Anne-Marie Blondeau et Katia Buffetrille, les éditrices, ont conservé le plan du pamphlet et ont placé en regard des réponses des savants chinois celles des savants occidentaux pour chacun des thèmes traités.
L’éventail est vaste, de l’histoire à l’éducation, de la médecine à la démographie en passant par les émeutes, la folklorisation de la culture tibétaine, etc. Cette encyclopédie condensée sur le Tibet offre tout particulièrement un éclairage novateur sur la religion, inscrite ici dans l’ensemble dont elle est solidaire. La forme interrogative du titre de l’ouvrage est une invitation à la réflexion, à partir de connaissances rassemblées sans passion et dont la divulgation s’imposait dans les circonstances présentes. Le lecteur pourra enfin juger sur pièces de ce que fut le Tibet, de ce qu’il est devenu et de ce qu’il pourra devenir.

[2] " Histoire du Tibet " de Laurent Deshayes. Editions Fayard, janvier 1997.
Très attendue, cette "Histoire du Tibet" - la première du genre en français - est fondée, outre les sources classiques, sur un fond d’archives peu utilisé jusqu’alors : celui du Ministère des Affaires étrangères français et de la Société des Missions Etrangères de Paris. D’où, sans doute, l’accent mis sur la place des missionnaires chrétiens au Tibet, à différents moments de son histoire.
Une histoire complexe et tourmentée dont Laurent Deshayes réussit, et c’est un tour de force, à suivre le fil à travers les influences mongoles et mandchoues, les guerres pour le pouvoir entre écoles du bouddhisme (ou du moins entre lamas dignitaires), ou les convoitises étrangères. Une chose est certaine en tous cas : cette histoire ne peut être lue avec les seuls concepts occidentaux de la géopolitique.
Ainsi cette relation Chö-Yon (de maître spirituel à bienfaiteur) qui unit les peuples tibétains (de Sakya Pandita aux Dalaï Lamas) d’abord aux Khans mongols, puis à l’empereur de Chine, malgré ses implications politiques, ne peut en rien se confondre avec une suzeraineté chinoise et encore moins un protectorat, impliquant un abandon de soumission du côté tibétain.
Historien, donc impartial, Laurent Deshayes rétablit les vérités tronquées, masquées, transformées par les fonctionnaires impériaux du Parti communiste chinois.


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