Le statut historique du Tibet : un résumé

par Michael C. can Walt van Praag

mercredi 10 mai 2000 par Webmestre

Introduction

Le Gouvernement tibétain en exil, dirigé par Sa Sainteté le Dalaï Lama, Chef de l’Etat tibétain et guide spirituel, a constamment soutenu que le Tibet est demeuré sous l’occupation illégale chinoise depuis son invasion par la Chine en 1949/50. La République Populaire de Chine (RPC) affirme que sa relation avec le Tibet est une affaire intérieure, car le Tibet est et fut pendant des siècles une partie intégrante de la Chine. La question du Statut du Tibet est essentiellement de nature légale, quoique d’urgente pertinence politique. La RPC ne réclame pas de droit de souveraineté sur Ie Tibet, qui serait le corollaire de l’occupation et de l’asservissement du Tibet après l’invasion armée de 1949/50. En effet, la RPC ne pourrait guère réclamer ce droit, vu qu’elle rejette catégoriquement comme étant des revendications illégales de souveraineté celles provenant d’autres Etats et basées sur la conquête ou l’occupation ou des traités inégaux imposés à un Etat asservi. En revanche, la RPC base ses revendications sur le territoire tibétain en prenant uniquement en compte le fait que le Tibet constituerait une partie intégrante de la Chine depuis sept siècles.

Histoire ancienne

Quoique l’histoire de l’Etat tibétain ait commencé en -127. avec l’établissement de la dynastie Yarlung, le Tibet fut d’abord unifié au cours du VIIème siècle sous le règne de Song-tsen Gampo et de ses successeurs. Le Tibet fut une des plus grandes puissances d’Asie pendant les siècles qui suivirent, comme le confirment l’inscription sur une colonne du Palace du Potala à Lhassa ainsi que certaines révélations historiques chinoises de l’époque Tang. Un traité formel de paix fut conclu entre la Chine et le Tibet en 821 / 823. Ce traité démarquait la frontière entre les deux pays et assurait que "les Tibétains seront heureux au Tibet et les Chinois seront heureux en Chine".

Influence mongole

Alors qu’au cours du XIIIème siècle, l’Empire mongol de Gengis Khan s’étendait à l’ouest vers l’Europe et à l’est vers la Chine, les leaders tibétains de la puissante école Sakya du bouddhisme tibétain, conclurent un accord avec les chefs mongols afin d’éviter la conquête du Tibet. Le Lama tibétain promit loyauté politique, bénédiction et enseignement religieux en échange d’un parrainage et d’une protection. Les liens religieux devinrent tellement importants que lorsque, des dizaines d’années plus tard, le Kubilaï Khan conquit la Chine et établit la dynastie Yuan (1279- 1368), il proposa au Sakya Lama de devenir Précepteur Impérial et Pontife suprême de son Empire

Les relations qui se développèrent et continuèrent d’exister jusqu’au vingtième siècle entre les Mongols et les Tibétains étaient un reflet d’une étroite affinité raciale, culturelle et religieuse entre les deux peuples d’Asie centrale. L’Empire mongol était un empire mondial et quelles que fussent les relations entre ses gouvernants et les Tibétains, les Mongols n’intégrèrent jamais I’administration du Tibet et celle de la Chine, ni unirent le Tibet à la Chine.

Le Tibet rompit ses liens politiques avec l’empereur Yuan en 1350, avant que la Chine ne regagnât son indépendance. Le Tibet ne tomba de nouveau sous un certain degré d’influence étrangère qu’au cours du XVIIIème siècle.

Relations avec les Mandchous, les Gorkhas et les voisins anglais

Le Tibet ne développa aucun lien avec la dynastie chinoise Ming (1368-1644). D’ailleurs, Ie Dalaï Lama, qui avait établi son gouvernement souverain sur le Tibet grâce à l’aide d’un protecteur mongol en 1642, développa d’étroits liens religieux avec les empereurs Mandchous qui conquirent la Chine et y établirent la dynastie Qing (1644-1911). Le Dalaï Lama accepta de devenir le guide spirituel de l’empereur mandchou, et en accepta en échange le parrainage et la protection. Cette relation "prêtre-patron", que le Dalaï Lama maintint aussi avec quelques princes Mongols et nobles tibétains, était le seul lien formel existant entre les Tibétains et les Mandchous durant la dynastie Qing et n’entama pas l’indépendance tibétaine.

Sur le plan politique, certains puissants empereurs mandchous réussirent à exercer un degré d’influence sur le Tibet. C’est ainsi que de 1720 à 1792, les empereurs Kangxi, Yong Zhen et Qianlong envoyèrent à quatre reprises des troupes impériales au Tibet afin de protéger le Dalaï Lama et le peuple tibétain des invasions mongoles, gorkhas mais aussi d’éventuels troubles internes. Ces expéditions donnèrent aux empereurs les moyens d’établir leur influence sur le Tibet. Ils envoyèrent des représentants dans la capitale tibétaine, Lhassa, qui exercèrent leur influence sur le gouvernement tibétain, notamment en ce qui concerne la conduite des relations extérieures. A l’apogée du pouvoir mandchou, la situation n’était pas différente de celle qui peut exister entre une superpuissance et un pays satellite ou protectorat, c’est-à-dire une situation n’annulant pas l’indépendance politique de l’Etat faible. Le Tibet ne fut jamais annexé à l’Empire mandchou, ni même à la Chine, et continua de conduire ses relations avec les Etats voisins pour la plupart de façon autonome.

L’influence mandchoue ne dura pas longtemps ; elle était tout à fait inefficace à l’époque où les britanniques envahirent pendant une brève période Lhassa et conclurent un traité bilatéral avec le Tibet : la Convention de Lhassa. En dépit de cette perte d’influence, le gouvernement impérial de Pékin continua de revendiquer une certaine autorité quelconque sur le Tibet, notamment s’agissant des relations internationales ; une autorité que le gouvernement impérial britannique désigna sous le terme de "suzeraineté" dans ses pourparlers avec Pékin et Saint-Petersbourg. L’armée impériale chercha à réaffirmer une influence effective en 1910 en envahissant le pays et en occupant Lhassa. Après la révolution chinoise de 1911 et le conséquent renversement de l’empire mandchou l’armée chinoise se rendit aux troupes tibétaines et fut rapatriée sur la base d’un accord de paix sino-tibétain. Le Dalaï Lama affirma à nouveau la complète indépendance du Tibet, sur le plan intérieur par une déclaration et sur le plan extérieur par des communications envoyées aux gouvernements étrangers et par un traité avec la Mongolie.

Le Tibet au XXème siècle

Le Statut du Tibet à la suite de l’expulsion des troupes mandchoues ne fait pas l’objet d’un sérieux différend. Quels que fussent les liens existant entre les Dalaï Lamas et les empereurs mandchous de la dynastie Qing, ceux-ci s’étaient rompus avec la chute de cet empire et de cette dynastie. Depuis 1911 jusqu’à 1950 le Tibet réussit à éviter toute ingérence étrangère indue et se conduisit sous tous les aspects comme un Etat tout à fait indépendant.

Le Tibet maintint des relations diplomatiques avec le Népal, le Bhoutan, la Grande-Bretagne et, plus tard, avec l’Inde indépendante. Les relations avec la Chine demeurèrent tendues. Les Chinois entreprirent une guerre de frontière contre le Tibet, tout en l’invitant à se "joindre" à la République chinoise et en soutenant devant le reste du monde que le Tibet était déjà l’une des "provinces" de la Chine.

Dans le but de réduire les tensions sino-tibétaines, les Britanniques convoquèrent une conférence à trois en 1913 à Simla, où les trois Etats se rencontrèrent en égaux. Comme le délégué britannique le rappela à sa contrepartie chinoise, le Tibet participait à cette conférence-là en tant que nation indépendante qui ne reconnaissait aucune obéissance envers la Chine. La conférence échoua car elle n’aboutit pas à la résolution du différend entre la Chine et le Tibet. EIle fut pourtant utile, parce que l’amitié anglo-tibétaine fut réaffirmée par la conclusion d’accords bilatéraux dans les domaines du commerce et des frontières. Par une Déclaration conjointe, la Grande-Bretagne et le Tibet s’engagèrent à ne pas organiser la suzeraineté chinoise, ni aucun autre droit spécial chinois au Tibet, à moins que la Chine ne signât le projet de Convention de Simla qui garantirait les plus grandes frontières du Tibet, son intégrité territoriale et sa pleine autonomie. La Chine ne signa jamais cette Convention, tout en laissant pleinement en vigueur les conditions établies dans la Déclaration conjointe.

Le Tibet conduisit ses relations internationales en traitant avec les missions diplomatiques britannique, chinoise, népalaise et bhoutanaise de Lhassa, mais aussi au moyen de délégations gouvernementales en voyage à l’étranger. Lorsque l’Inde devint indépendante, la mission britannique de Lhassa fut remplacée par une mission indienne. Durant la seconde Guerre Mondiale, le Tibet demeura neutre, en dépit des fortes pressions exercées par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine afin que le passage de matières premières par son territoire fût autorisé.

Le Tibet n’entretint jamais de relations internationales étendues, mais les Pays avec lesquels il en eut, traitèrent le Tibet de la même façon que n’importe quel autre Etat souverain. Son statut international en effet n’était guère différent de celui par exemple du Népal ; ainsi, lorsque le Népal présenta sa demande d’adhésion aux Nations Unies en 1949, il mentionna ses traités et relations diplomatiques avec le Tibet afin de démontrer sa pleine personnalité juridique internationale.

L’invasion du Tibet

Le moment décisif dans l’histoire du Tibet eut lieu en 1949, lorsque l’Armée populaire de libération de la RPC pénétra pour la première fois au Tibet. Après avoir défait la petite armée tibétaine et avoir occupé la moitié du pays, le gouvernement chinois, en mai 1951, imposa au gouvernement tibétain le prétendu "Accord en 17 points pour la libération pacifique du Tibet". Cet accord, signé sous contrainte, n’était pas valable sur la base du droit international. La présence de 40 000 soldats chinois au Tibet, ajoutée à la menace d’occupation immédiate de Lhassa et à la perspective du complet effacement de l’Etat tibétain ne laissaient guère de choix aux nationaux.

Afin de contrer la montée d’une active résistance à l’occupation chinoise, notamment au Tibet oriental, la répression chinoise s’accentua, entraînant la destruction de bâtiments religieux et l’arrestation de moines et d’autres leaders de la communauté. En 1959, les soulèvements populaires culminèrent avec des démonstrations de masse à Lhassa. La Chine écrasa le soulèvement. Dans la seule région de Lhassa quelque 87 000 Tibétains furent tués et le Dalaï Lama dut s’enfuir en Inde, où il réside maintenant avec le Gouvernement tibétain en exil.

En 1963, le Dalaï Lama promulgua une Constitution pour un Tibet démocratique, qui a été appliquée avec succès, dans la mesure du possible, par le gouvernement tibétain en exil.

Au Tibet, entre-temps, la persécution religieuse, les graves violations des Droits de l’Homme, la destruction systématique des bâtiments religieux et historiques par les autorités occupantes n’ont pas réussi à détruire la volonté du peuple tibétain de résister à la destruction de son identité nationale. A la suite de l’occupation chinoise, 1 200 000 Tibétains (c’est-à-dire plus d’un sixième de la population totale) ont perdu la vie. Mais la nouvelle génération tibétaine semble autant déterminée que la génération précédente pour reconquérir l’indépendance du pays.

Conclusions

Au cours de ses 2 000 ans d’histoire, le Tibet n’a subi d’influences étrangères que pendant de brèves périodes : au XIIIème et au XVIIIème siècles. Peu de pays parmi ceux qui aujourd’hui sont indépendants peuvent vanter une primauté aussi importante. Comme l’a observé à plusieurs reprises l’ambassadeur irlandais auprès des Nations-unies au cours de débats à l’Assemblée Générale sur la question tibétaine : "Pendant des milliers d’années... le Tibet fut libre et eut le contrôle total de ses affaires comme n’importe quelle autre nation de notre Assemblée ici, et fut un millier de fois plus libre de mener a bien ses affaires que la plupart des Nations qui se trouvent ici aujourd’hui".

Plusieurs autres pays firent, au cours des débats aux Nations-unies, des déclarations reflétant une reconnaissance analogue du Statut indépendant du Tibet. Ainsi, par exemple, le délégué des Philippines déclara : "II est clair qu’à la veille de l’invasion de 1950 le Tibet n’était soumis au contrôle d’aucun pays étranger". Le délégué thaïlandais rappela à l’Assemblée que "la majorité des Etats réfute le fait que le Tibet fasse partie de la Chine". Les Etats-Unis se joignirent à la condamnation de "l’agression" et de "l’invasion" chinoise du Tibet prononcée par la plupart des autres membres des Nations-unies. En 1959, 1961 et encore en 1965, l’Assemblée Générale des Nations Unies approuva les résolutions 1351 (XIV), 1723 (XVI) et 2079 (XX) condamnant les violations des Droits de l’Homme commises par les Chinois au Tibet et rappelant la Chine au respect et à la promotion des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales du peuple tibétain, y compris son droit à l’autodétermination.

D’un point de vue juridique, le Tibet n’a jamais perdu son statut. Il s’agit d’un pays indépendant soumis à une occupation illégale. Ni l’invasion militaire chinoise ni l’occupation continue par l’Armée populaire de libération n’ont transféré à la Chine la souveraineté du Tibet. Le gouvernement chinois n’a jamais revendiqué avoir acquis la souveraineté sur le Tibet par la conquête. En fait, la Chine reconnaît que l’emploi ou la menace de la force (au-delà des circonstances exceptionnelles prévues par la Charte des Nations-unies), le fait d’imposer un traité inéquitable ou l’occupation continue d’un pays ne peuvent jamais conférer à l’envahisseur un droit fondé sur le territoire. Ses revendications sont basées sur une prétendue soumission du Tibet à quelques gouvernants étrangers aux treizième et dix-huitième siècles.

Comment la Chine peut-elle, étant un des Etats les plus ardents opposants à l’impérialisme et au colonialisme, défendre sur la scène diplomatique sa présence continue au Tibet contre la volonté du peuple tibétain, en se justifiant avec les politiques coloniales, impérialistes mongoles et mandchoues ? Doit-on y voir un caprice prolongé d’une grande puissance ?


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