Le titre de Geshé

mardi 26 avril 2005 par Webmestre

Origine du titre

Dans le bouddhisme tibétain, la première école traditionnelle à avoir sanctionné la fin d’un cycle d’études par l’attribution du titre de Géshé a été l’école des Sakyas. Etait nommé Géshé celui qui avait remporté avec succès un débat sur la dialectique.
Ce débat s’appelait Ka-shi (quatre sujets) ou Ka-chu (dix sujets). Les sujets étaient examinés tous à la fois, de sorte que le candidat ayant réussi l’épreuve était censé être un maître incontesté en tous ces domaines. Ces débats se tenaient en plusieurs endroits. Au temps de Tsongkhapa, le titre était décerné dans les monastères de Samphu, de Kyormolung et de Dewachen (devenu Ratö).

Le titre de Géshé

Le cursus d’études d’un moine comportait six sujets principaux, répartis sur quinze classes. Ces sujets étaient :

  • Les Thèmes Regroupés (bsdus-gra) qui servaient d’études préliminaires au programme proprement dit ;
  • La Perfection de la Sagesse (Prajnaparamita, Par-phyin) ;
  • La Voie Médiane (Madhyamiki, dbuma) ;
  • La Dialectique (Pramana, tshadma)
  • La Discipline (Vinaya, ’Dul-ba) ;
  • La Connaissance (Abhidharma, mDzod).

Le nombre des années passées à l’étude de chaque sujet variait selon les collèges mais, habituellement, le programme se déroulait ainsi :

  • Les Thèmes Regroupés - un an
  • La Perfection de la Sagesse - cinq ans
  • La Voie Médiane - deux ans
  • La Discipline - un an
  • La Connaissance - deux ans
  • La Dialectique était étudiée en alternance pendant toute la durée des études.

Dans certains collèges, comme celui de Gomang dans le monastère de Drépung, on passait jusqu’à huit années au moins sur les seuls Thèmes Regroupés. Pour les moines originaires de régions éloignées, et par permission spéciale, cette durée pouvait être abrégée. Les moines qui avaient achevé leurs études mais qui étaient en attente de passer leur examen de Guéshé, occupaient leur temps à perfectionner leur habileté à débattre et à étudier les deux derniers sujets. Les tulkus (réincarnations reconnues de lamas) étaient, eux, autorisés à se présenter aux examens dès qu’ils avaient terminé le programme. Pour la plupart d’entre eux, ils pouvaient ensuite retourner dans leurs propres monastères, situés dans d’autres régions du Tibet, pour y enseigner.
Les moines montaient chaque année d’une classe. Pour ceux qui étaient parvenus au terme de leurs études, avait lieu, une fois par an, un examen qui permettait à l’abbé du collège d’évaluer leurs capacités.

Les sujets du débat de dialectique étaient tirés de l’ensemble du programme d’études mais les candidats n’avaient pas pour autant la possibilité de se préparer de façon spécifique car ce n’est qu’au dernier moment que l’abbé choisissait le sujet du débat. Ainsi étaient véritablement testées les aptitudes de l’étudiant et l’étendue de ses connaissances. Pour finir, l’abbé attribuait à chacun des candidats le titre de Géshé correspondant à ses connaissances. Il y avait quatre catégories de Géshé : Dorampa, Lingtse, Tsorampa et Lharampa, le titre de Guéshé Lharampa étant le plus élevé. Des prix étaient remis aux meilleurs candidats, prix que l’abbé prélevait sur ses fonds propres. On faisait l’annonce des résultats dans la salle de réunion des moines et les candidats recevaient des écharpes (khatags). Après quoi, durant les huit mois qui suivaient, les candidats Géshé ne devaient manquer, ne serait-ce qu’une fois, l’une des trois sessions quotidiennes de débats.

Le cinquième mois, les candidats au titre de Lharampa et de Tsorampa recevaient un avis des Professeurs de Dialectique personnels du Dalaï Lama (Tsen-shabs), les invitant à se présenter au Norbulinka pour y passer un examen. Ces débats-là commençaient à l’aube et s’interrompaient pour l’assemblée quotidienne des moines qui réunissait tous les fonctionnaires du gouvernement. Après avoir partagé le thé et la tsampa, ceux qui avaient fait la requête d’être reçus en audience par le Dalaï Lama étaient informés de l’heure de leur entretien. Les examens reprenaient ensuite et se poursuivaient jusqu’au coucher du soleil.

Des bulletins étaient tirés au sort pour déterminer l’ordre dans lequel se dérouleraient les débats. Le premier candidat était mis au défi par le second, qui, à son tour, mettait le troisième au défi et ainsi de suite. On suivait le même processus de tirage au sort pour déterminer chacun des cinq sujets, l’examen entier s’étendant ainsi sur six ou sept jours. L’ordre dans lequel les candidats devaient se présenter était régulièrement modifié afin que jamais deux candidats n’aient à débattre plus d’une fois ensemble.

Pour finir, les Professeurs de Dialectique discutaient entre eux des résultats et attribuaient à chacun des candidats un rang, de un à sept, qui était tenu secret. Le troisième jour du Nouvel An, on demandait aux Géshés qui avaient été nommés premier et deuxième de débattre devant le Dalaï Lama, ce qui laissait peu de doute sur le nom du candidat qui recevrait la plus haute distinction lors de la remise officielle des titres durant la Fête de la Grande Prière (Mönlam Chenmo).

L’examen passé au Norbulinka était certes important, puisque c’était à cette occasion que le Géshé se voyait attribuer un rang, mais ce n’est qu’au cours de la Fête de la Grande Prière que les Professeurs de Dialectique prenaient leur décision finale. Pour établir leurs conclusions, ils devaient, durant les débats du soir, observer parmi les Géshés quels étaient, à leur avis et selon les rapports fournis par les deux abbés, les plus prometteurs et les plus qualifiés. Dans l’examen de Géshé, chaque étape avait son importance et celui qui, en fin de compte, se voyait décerner le titre de Géshé Lharampa l’avait bien mérité.
C’est au cours du douzième mois de l’année précédente, qu’était déterminé avec précision le jour de la Fête de la Grande Prière au cours duquel le Géshé devrait faire son débat. Les candidats se rendaient à Drépung où l’un des deux abbés procédait à un tirage au sort : il réunissait les rosaires des candidats, les mélangeait tous ensemble et les extrayait du lot, un par un. Les propriétaires se levaient l’un après l’autre pour reprendre le sien et, en même temps, ils retiraient de l’urne contenant les bulletins le papier sur lequel était inscrite la date de son débat. La coutume était préservée, mais un ajustement était souvent nécessaire pour que les meilleurs Géshés puissent voir leurs débats se dérouler avant le jour de la Fête de la Grande Prière. C’était là la tâche des Professeurs de Dialectique qui avaient reçu auparavant les listes envoyées par Drépung.

La Fête du Collège

Le onzième mois, le candidat, pour marquer ce qui allait être l’événement capital de sa carrière académique, offrait un repas à ses condisciples, ce qui représentait pour lui une grande dépense personnelle, Peu avant le repas et précédé du responsable de la Maison d’étudiant à laquelle il appartenait, il faisait le tour de l’assemblée des moines, un bâton d’encens dans une main et, dans l’autre, une bannière sur laquelle étaient inscrits quelques vers. A l’origine, c’est le moine qui devait composer ces vers, ce qui était pour lui l’occasion de faire montre de son érudition ; mais, plus tard, cela se résuma à une simple formalité et tout verset à connotation favorable était le bienvenu.

Le Débat

Les débats avaient lieu au collège durant le onzième mois. Il y avait deux sortes de défis : le débat long et le débat court. Chaque jour, le candidat subissait un examen de débat court qui durait approximativement de midi à cinq heures du soir. Lorsque tous les candidats avaient achevé les séances de débats courts, les débats longs commençaient. Les deux sortes de débats commençaient en même temps mais les débats longs pouvaient se prolonger jusqu’à dix heures du soir. La durée de cet examen qui se passait au collège variait selon qu’il s’agissait des catégories de Géshé Lharampa, Tsorampa ou Lingtse. Puisque chaque collège présentait chaque année quatre ou cinq candidats Lharampa et autant pour les deux autres catégories de Géshés, ces séances de débats pouvaient durer huit jours environ.

A un certain moment, avant que ne commence son débat, le Géshé se rendait chez le directeur d’études de sa Maison, son Lama Shung-leg-pa, pour lui demander conseil sur le choix du sujet à commenter. Le jour fatidique arrivé, le candidat invitait le Lama Shung-leg-pa et tous les autres candidats Géshé dans la chambre qu’il occupait dans sa Maison. Le Lama Shung-leg-pa s’installait sur un trône et, en manifestation de respect, le candidat se prosternait devant lui.
Un repas substantiel était offert alors à toutes les personnes présentes. Aussitôt après, le candidat présentait son Lama Shung-leg-pa à l’assemblée. Les candidats Géshé s’asseyaient en rang, le candidat du jour étant, lui, assis en bout de rang, à droite. Tenant sa coiffe à hauteur de son front, il récitait des louanges aux Bouddhas et aux Bodhisattvas et racontait un épisode de la vie du Bouddha. Il commentait ensuite les versets que lui avait donnés le Lama Shung-leg-pa et poursuivait ainsi jusqu’à ce que l’abbé l’interrompe. Il portait alors à la connaissance de tous la liste des sujets retenus pour le débat. Autrefois, c’était parmi ces sujets que les autres débatteurs tiraient les thèmes de leurs propres débats. Plus tard, cela devint une simple formalité et l’on ne mentionna plus que les sujets à caractère favorable. Le candidat Géshé concluait son énumération par une brève récapitulation des subdivisions des cinq thèmes principaux. Des fruits secs étaient offerts avec cérémonie à l’abbé et aux tulkus, puis ils étaient lancés aux autres personnes de l’assistance.

Un concurrent se levait alors et, choisissant un thème favorable, l’esprit d’éveil par exemple, il engageait le débat avec le candidat. Dans les épreuves de débats longs, les débatteurs étaient des Géshés expérimentés qui n’assistaient plus aux sessions quotidiennes de défis ordinaires. Ils étaient suivis par les Tulkus Tsogchen, des lamas réincarnés de haut rang. L’abbé déterminait la durée de chaque débat.
Pour les épreuves de débats courts, la participation des moines qui n’étaient pas encore Géshé, des candidats Géshés ainsi que de tous les tulkus, même les plus jeunes, étaient obligatoire. Les sujets étaient la Connaissance et la Discipline, suivis de la Voie médiane. Les débats terminés, le Lama Sung-leg-pa se levait et, après avoir fait passer en revue les événements du jour, dédiait les mérites accumulés à la diffusion du Dharma. Le candidat au titre de Géshé Lharampa devait en outre participer à une session supplémentaire. Ce débat qui durait toute une nuit et portait sur la Dialectique, avait lieu à Jang, au cours de l’assemblée générale d’hiver. Les participants étaient tous des candidats avancés et l’événement était suivi avec passion par tous les moines participant à la réunion.

Les titres de Géshés étaient décernés le 24ème jour du premier mois, c’est-à-dire à la fin de la Fête de la Grande Prière. Lorsque le Dalaï Lama se trouvait à Lhasa, c’est lui qui présidait la session. Celle-ci se déroulait à l’étage supérieur du Jokhang. Les candidats Géshés attendaient à l’extérieur et n’entraient dans la salle de réunion qu’à l’appel de leur nom et de leur rang par un fonctionnaire du gouvernement. Ils recevaient en cadeaux des robes de moine et des fruits secs et s’installaient parmi l’assemblée. Des foules anxieuses de supporters, venus des collèges auxquels appartenaient les candidats, attendaient au dehors, essayant de voir à qui avaient été décernés les rangs les plus élevés.
Lorsque le Dalaï Lama n’était pas à Lhasa pour la Fête de la Grande Prière, la remise des titres de Géshé avait lieu au Potala.

L’attribution du titre de Géshé fut établie dans sa forme définitive au dix-septième siècle, au temps du Cinquième Dalaï Lama ; mais, au cours du vingtième siècle, comme ce fut le cas pour d’autres institutions existant de longue date, la remise du titre commença à se transformer en une simple routine. Lors d’une visite en Mongolie, le Treizième Dalaï Lama avait été grandement impressionné par la performance des étudiants locaux. Son attention alertée, il décida, à son retour au Tibet, de réformer le système des Géshés et d’élever le niveau des études. Jusqu’à ces réformes, l’attribution des titres de Géshés Lharampa et Tsorampa était laissée à l’entière discrétion des abbés des collèges respectifs. Parfois, seul le grand âge des moines justifiait l’attribution du titre. Dans l’année qui précéda les réformes, le Dalaï Lama constata que plusieurs candidats Lharampa étaient insuffisamment qualifiés et il fit savoir qu’à l’avenir seuls les candidats qui méritaient le titre pourraient se présenter aux examens. L’année suivante, les abbés eurent l’obligation de consulter les Professeurs de Dialectique personnels du Dalaï Lama et l’on institua l’examen au Norbulinka. Plusieurs candidats, jugés inaptes, furent disqualifiés et mis à l’amende. Le Treizième Dalaï Lama rendit également obligatoire que les Géshés aient obtenu de bons rangs pour être admis dans l’un des deux collèges tantriques, Gyutö ou Gyumey, ceci dans le but d’élever le niveau de l’éducation dispensée dans les collèges tantriques et d’obliger ainsi les Géshé à parfaire leur éducation par une étude approfondie des Tantras.

Me-Long,
Newsletter of the Norbulingka
Traduction : Babette Bridault
Actualités Tibétaines


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