Légitimité et rôle de l’Administration centrale tibétaine

Par Kelsang Gyaltsen, Emissaire de Sa Sainteté le Dalaï Lama auprès de l’Union européenne

jeudi 14 juillet 2011 par Rédaction

Dans son message du 10 mars 2011, Sa Sainteté le Dalaï Lama a confirmé ce qu’il avait annoncé à maintes reprises dans le passé, c’est-à-dire son souhait de transférer aux représentants élus tous les pouvoirs formels inscrits dans la Charte constitutionnelle [1] qui régit le fonctionnement de l’administration en exil.
Lors de la séance bisannuelle de mars dernier [2], le Dalaï Lama a invité le Parlement à élaborer les amendements nécessaires afin de modifier la Charte en ce sens. Malgré l’extrême réticence du Parlement, le Dalaï Lama a, pour le bien à long terme du peuple tibétain, persisté dans son intention. Le Cabinet et le Parlement ont finalement accepté de constituer une commission spéciale chargée de proposer des amendements. En mai 2011, la 2ème Assemblée Générale représentant les Tibétains en exil est convoquée à Dharamsala [3] afin de débattre de ces réformes de portée historique. Plus de 400 délégués provenant de nombreux pays ont débattu pendant trois jours.
M. Kelsang Gyaltsen, l’un des deux émissaires chargés des négociations sino-tibétaines, analyse le déroulement de cette Assemblée et met en avant les enjeux essentiels de la lutte légitime du peuple tibétain qui ne fait que se renforcer avec la démocratisation de l’administration en exil.

Le microcosme qu’est le monde tibétain en exil semble à nouveau déchiré par une dispute émotionnelle et politique concernant à la fois la passation des pouvoirs politiques et administratifs détenus par Sa Sainteté le Dalaï Lama aux instances administratives tibétaines démocratiquement élues et également à propos du changement dans l’intitulé du "Gouvernement tibétain en exil" en langue tibétaine, qui devient "l’Administration centrale tibétaine". Le ton du débat est souvent tourmenté, âpre et auto-destructeur, reflétant l’attitude de certains Tibétains qui, au cœur du débat, s’apitoient sur leur sort et envisagent le pire. C’est pourquoi jusqu’à présent le discours a été plutôt contre-productif et démoralisant et n’a pas du tout contribué à clarifier ni à mieux faire comprendre les questions qui sont en jeu.

L’objectif premier de ces changements est d’assurer la continuité de la lutte pour la liberté menée par l’Administration centrale tibétaine. Ces changements montrent la volonté politique et la détermination des dirigeants tibétains à poursuivre la lutte pour la liberté du Tibet aussi longtemps qu’il le faudra en jetant les bases nécessaires et en se positionnant de façon à leur permettre de fonctionner et de travailler à l’avenir en dépit de toute éventuelle vicissitude survenant dans le contexte politique international. Il faut voir et comprendre la passation des pouvoirs politiques détenus par Sa Sainteté le Dalaï Lama aux dirigeants démocratiquement élus de l’Administration tibétaine centrale comme étant le témoignage de sa foi dans la maturité politique et la détermination du peuple tibétain, en particulier de la jeune génération de Tibétains vivant aussi bien au Tibet qu’en exil.

C’est là, me semble-t-il, l’essentiel du message que représentent ces changements et que les dirigeants tibétains souhaitent transmettre aux Tibétains, aux dirigeants chinois ainsi qu’à la communauté internationale.

Cette initiative est la preuve irréfutable de la force, de l’assurance, de la détermination et de l’intelligence des dirigeants tibétains. Les amendements apportés à la Charte des Tibétains en exil montrent sans l’ombre d’un doute une détermination et un engagement politiques inébranlables envers la lutte pour la liberté. Ces amendements prouvent clairement que Sa Sainteté entend pleinement assigner à cette Administration les pouvoirs et responsabilités de représenter et servir le peuple tibétain tout entier, pouvoirs et responsabilités précédemment détenus conjointement par lui et l’Administration centrale tibétaine. Le nouveau Préambule de la Charte insiste sur "la garantie de continuité de l’Administration centrale tibétaine dans son rôle d’entité gouvernante légitime et représentante du peuple tibétain tout entier, qui est le détenteur de la souveraineté". Il reconnaît également de manière solennelle la position de nation souveraine au Tibet, un statut qui date du début du 2ème siècle avant Jésus-Christ et qui s’est poursuivi jusqu’à l’invasion par la République populaire de Chine en 1951, ainsi que les efforts de Sa Sainteté le Dalaï Lama pour introduire des réformes démocratiques depuis 1959, année où commença son exil en Inde.

Dans ce contexte, il n’existe absolument aucune justification permettant de penser que l’Administration centrale tibétaine a abandonné le mandat de représentation de tout le peuple du Tibet en raison des récents changements. Bien au contraire, d’un point de vue politique et légal, la légitimité de l’Administration centrale tibétaine à représenter les Tibétains s’est trouvée renforcée du fait du plein aboutissement du processus de démocratisation. Le peuple du Tibet détient la souveraineté. En conséquence, plus l’autorité tibétaine repose sur un processus démocratique juste et libre, plus grande sera sa légitimité à représenter les aspirations du peuple tibétain. A son arrivée en exil en 1959, Sa Sainteté le Dalaï Lama déclara que quel que soit l’endroit où il se trouverait lui-même ou bien le Kashag (Cabinet), le peuple tibétain continuerait à voir en eux leur gouvernement et leurs vrais représentants. Sa Sainteté a placé l’Administration centrale tibétaine sous la direction de son Kashag afin d’activement défendre la cause du Tibet, d’attirer l’attention du monde entier sur les événements tragiques qui se passent au Tibet et de rechercher l’aide de la communauté internationale pour continuer à protéger les Tibétains et veiller à la sécurité des quelques 80 000 réfugiés tibétains en Inde.

Le nom officiel de cette administration a été "l’Administration centrale tibétaine de Sa Sainteté le Dalaï Lama". Notre sceau et l’en-tête officielle portent cette appellation. Dans toutes nos relations externes, nous nous identifions comme l’Administration centrale tibétaine de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Nous n’avons jamais cherché à nous présenter politiquement ou légalement comme étant "le Gouvernement du Tibet en exil", confiants que nous avons toujours été que le peuple tibétain considérait Sa Sainteté et l’Administration centrale tibétaine comme son gouvernement et ses vrais représentants et ceci était la source sans cesse renouvelée de la légitimité du pouvoir.

Dès les débuts de notre exil, il semble qu’il ait été de la plus grande importance aux yeux de Sa Sainteté de prouver à tous qu’il ne revendiquait en aucune manière le pouvoir ou l’autorité ni pour lui-même ni pour son administration. En exil, notre tâche première a toujours été de réclamer justice pour le Tibet et de rendre au peuple tibétain ses droits et ses libertés élémentaires.

Le fait que le peuple tibétain continue de considérer l’Administration centrale tibétaine comme son pouvoir administratif authentique, tant que le leadership de cette Administration a la bénédiction et le soutien inconditionnel de Sa Sainteté le Dalaï Lama en dépit des changements récents, ne fait aucunement débat. Seul le peuple tibétain peut décider de ceux qui peuvent le représenter. Bien que les Tibétains au Tibet ne puissent voter aux élections démocratiques organisées par l’Administration centrale tibétaine, ils manifestent de mille façons leur soutien et leur adhésion à ce processus, malgré les énormes risques que cela leur fait courir. Si un Tibétain, vivant libre en exil, décide de regarder dorénavant l’Administration centrale tibétaine comme une organisation non-gouvernementale à cause de ces récents changements, ceci reste l’expression d’un choix personnel dépendant de sa seule décision.

Tout Tibétain ayant une certaine compréhension du contexte politique et un sens de la responsabilité sait que l’un des crédos politiques de Sa Sainteté a toujours été d’espérer le meilleur tout en se préparant au pire. Au cours des dernières décennies de notre lutte pour recouvrer la liberté, le peuple tibétain et la cause du Tibet ont été bien servis et ont grandement bénéficié de cette approche de sagesse de Sa Sainteté.

Pour ceux qui s’intéressent à la Chine, le fait que Pékin ait récemment montré qu’elle n’hésiterait pas à employer la manière forte pour préserver ce qu’elle considère comme étant "son intérêt national fondamental" n’est pas une découverte. Les observateurs qui travaillent sur la Chine confirment une résolution renouvelée de la part du leadership chinois de faire ce qu’il faudra pour défendre "ces intérêts fondamentaux" tels que leurs prétentions concernant Taïwan et le Tibet. Selon les déclarations du stratège de l’École centrale du Parti, Gong Li : "En ce qui concerne Taïwan et le Tibet, Pékin ne devrait pas céder d’un pouce." Que la Chine ait recours à la coercition dans ses relations diplomatiques avec les autres nations pour affirmer ses positions est un simple secret de Polichinelle. Parmi un nombre grandissant d’affaires et de signes de l’impact de cette coercition dans la diplomatie chinoise, un bon exemple en est la politique récente adoptée au Népal vis-à-vis de nos compatriotes dans ce pays. On sait que la Chine pose comme précondition à l’établissement de relations diplomatiques avec un gouvernement, quel qu’il soit, l’acceptation et l’adhésion par celui-ci au principe de la "Politique d’une seule Chine".

Envisager l’avenir et prendre des mesures de précaution dans le but de surmonter toute vicissitude qui pourrait advenir sont des actes de responsabilité et de prudence de la part des dirigeants politiques.

Loin d’apaiser la Chine, ces initiatives de la part de Sa Sainteté constituent autant de nouvelles difficultés pour les dirigeants chinois. Tout d’abord, ces initiatives font voler en éclats les fondements théoriques du discours chinois de propagande sur la "libération" ainsi que les affirmations chinoises à propos du Dalaï Lama et de son désir de recréer une théocratie féodale et elles permettent de mettre en doute leurs calculs concernant la question de la réincarnation. D’un point de vue plus pratique et concret, Sa Sainteté le Dalaï Lama redit sans aucune ambigüité qu’il n’a aucune réclamation personnelle à faire aux dirigeants chinois. Il place les droits et le bien-être du peuple tibétain au premier plan du dialogue sino-tibétain. Il précise clairement que la question fondamentale qui doit absolument trouver une solution est la mise en place d’une réelle autonomie qui permettra aux Tibétains de se gouverner eux-mêmes en accord avec le génie propre à leur peuple et avec leurs besoins.

En abandonnant ses pouvoirs politiques, Sa Sainteté jette à nouveau la lumière sur le fait que la raison de son engagement pour la cause du Tibet n’est pas de revendiquer certains pouvoirs personnels ou certaines positions politiques ni pour réclamer des pouvoirs au profit de l’administration du Tibet en exil. Une fois qu’un accord satisfaisant avec la Chine sera atteint, l’Administration centrale tibétaine sera dissoute et ce sera au tour des Tibétains au Tibet d’assumer la responsabilité essentielle d’administrer le Tibet.

Même après les amendements apportés à la Charte, le mandat politique de l’Administration centrale tibétaine reste celui de servir le peuple du Tibet en étant la voix libre de notre nation occupée et de représenter les aspirations de ce peuple à travers le monde. A l’inverse du Parti communiste chinois, il est absolument clair que l’Administration centrale tibétaine ne recherche pas le pouvoir de gouverner le Tibet. La seule raison d’être et la seule tâche qui incombe à cette administration est ni plus ni moins que de mener la lutte en faveur des droits du peuple tibétain à gérer ses affaires et à vivre dans la liberté et la dignité au Pays des Neiges qui est sa patrie.

Le changement dans son nom en tibétain de notre administration ne fait que souligner à nouveau cette position première de l’Administration centrale tibétaine sans renoncer à la légitimité de représenter la voix et les aspirations du peuple du Tibet.

Le 20 Juin 2011
Traduction française de M.M., Bureau du Tibet, Paris.

NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du document officiel.

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[1] Voir l’article "Constitution Charte des Tibétains en exil"

[2] Cette séance s’est tenue en mars 2011

[3] Voir l’article "Deuxième Assemblée Générale Tibétaine, 21-24 mai 2011", du 5 juin 2011


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