Analyse

Les chantiers du nouveau Premier Ministre tibétain

jeudi 28 avril 2011 par Rédaction , Jean-Paul Ribes

Les spéculations vont bon train sur la tâche du nouveau Kalon Tripa [1], Lobsang Sangay, et sur la "nouvelle donne" au sein de la communauté tibétaine en exil. Une nouvelle donne qui inclut, il ne faut pas l’oublier, une augmentation sensible du rôle et des pouvoirs de sa fonction, qui sera précisée par la prochaine révision de la Charte fondamentale, constitution du Tibet démocratique. [2]
D’abord, rappelons le souhait nettement exprimé par le XIVeme Dalaï Lama de voir les responsabilités politiques qu’il assumait depuis le début de son exil passer entre les mains de la nouvelle génération et cela par le moyen d’une élection, libre et démocratique. [3]
Cette élection à eu lieu, en dépit des difficultés [4]. Les trois candidats en lice à l’issue du premier tour : Lobsang Sangay, Tenzin Namgyal Tethong, Tashi Wangdi sont tous des personnalités remarquables, entièrement dévoués à la cause tibétaine.
En élisant Lobsang Sangay, les Tibétains ont fait le choix de la jeunesse, car il n’a que quarante-trois ans. Probablement aussi de l’initiative et d’un nouveau ton donné à l’expression de la revendication tibétaine.
Mais à en juger par ses déclarations au cours de la campagne électorale et depuis la proclamation des résultats, il ne faut pas s’attendre à un changement d’orientation majeur, comme l’imaginent parfois les commentateurs un peu trop pressés de voir naître oppositions et conflits. C’est bien la voie médiane [5], établie par le Dalaï Lama qui reste la ligne de conduite. C’est à dire la volonté d’obtenir sans violence et par la négociation une autonomie authentique permettant la sauvegarde du peuple tibétain, de sa culture, de son environnement et de ses valeurs.
La tâche est ardue et déjà le gouvernement chinois, qui considère comme parfaitement légitime des gouvernements qui font tirer au canon sur leur propre peuple - voir la position de la Chine sur la Syrie - s’en est pris à cette "organisation illégale" [6] que présidera désormais Lobsang La. [7]
Parmi les atouts du nouveau premier ministre, outre une intelligence qui a permis au gamin né d’une famille simple, réfugiée dans les années 60 dans la région de Darjeeling de se retrouver diplômé [8] de l’université la plus prestigieuse du monde, Harvard, sa capacité a dialoguer est sans doute l’une de ses qualités majeures.
Dès les premières années de son séjour sur le campus, Lobsang Sangay s’est en effet engagé dans l’organisation de colloques permettant de rassembler étudiants chinois et tibétains, dans la perspective d’un dialogue que rejetaient précisément les autorités de Pékin.
Il s’y est créé un solide réseau de contacts qui ne lui seront pas inutiles dans sa nouvelle tâche. L’établissement du dialogue avec une Chine arc-boutée sur ses convictions impériales, mais qui connaît aussi bien des contradictions internes, demeure en effet l’objectif numéro un du nouveau responsable.

Mais il est une autre tâche à laquelle le nouveau premier ministre devra s’atteler sans tarder, c’est celle de convaincre par ses paroles et par ses actes ceux de ses compatriotes qui n’ont pas voté pour lui.
La jeune démocratie tibétaine en effet, si elle doit s’ouvrir sans réserve à la liberté d’opinion et de choix, ne peut se permettre l’esprit de dénigrement et de vendetta qui mine parfois des démocraties plus installées. D’autant que le combat se mène face a un adversaire aussi habile que cruel.
Les récents évènements de Kirti [9] montrent en effet la permanence d’un mode de répression confinant au sadisme, s’en prenant aux plus fragiles, aux personnes âgées tuées à coup de barre de fer, aux moines affamés par un blocus militaire avec des arrestations massives de centaines de moines emmenés vers une destination inconnue.
Plus généralement la mise en coupe réglée du Tibet, de ses ressources naturelles, la mise à mort du mode de vie nomade, la répression à l’égard des intellectuels et artistes, et tout cela sous le regard bienveillant de grandes démocraties comme la France, qui n’hésite pas à envoyer, du 25 au 30 avril, le président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer à Pekin pour y "approfondir les liens d’amitié" avec la République Populaire de Chine [10]. Ah, l’art du timing à la française !
C’est aussi à se faire connaître des institutions nationales et internationales que le nouveau Kalon Tripa devra consacrer son talent. Suggérons aux élus nationaux et européens amis du Tibet de l’inviter à venir sans tarder s’exprimer devant eux.

Informer de façon juste et équitable, ouvrir la porte à nos amis Tibétains et singulièrement à leurs représentants élus pour qu’ils puissent s’exprimer et faire connaître la justesse de leur cause, telles sont et demeurent nos propres tâches pour aider une démocratie naissante et porteuse d’un immense avenir, à l’échelle de la Chine. Car on sait aujourd’hui, ceci console de cela, que l’esprit de liberté, comme les nuages radioactifs, ne connaît pas de frontière .

Jean-Paul Ribes


NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du document d’origine.

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[1] "Kalon Tripa" est le nom tibétain équivalent à Premier Ministre dans le Gouvernement tibétain en exil. Voir l’article "Résultats des élections du Premier Ministre et du Parlement tibétain en exil", du 27/04/2011

[2] Voir la "Charte des Tibétains en exil".

[3] Relire à ce sujet le discours du Dalaï Lama prononcé le 10 mars 2011

[4] Voir l’article "lnterdiction de l’élection du gouvernement tibétain en exil au Népal" et la résolution du Parlement européen à ce sujet

[5] Allusion à la Voie Médiane du Dalaï Lama. Voir "La politique de la "Voie Médiane"" pour explication.

[6] Lors d’un point de presse le 28 avril 2011, Hong Lei, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a déclaré : "Le soi-disant gouvernement tibétain en exil est une organisation politique illégale mise sur pied par le Dalaï Lama pour conduire (le Tibet) à l’indépendance et mener des activités séparatistes".

[7] Pour les lecteurs non familiers avec la culture tibétaine, "La" est une formule de politesse, un peu comme "Monsieur" ou "Madame" en français, mais que l’on peut tout à fait utiliser avec le prénom.

[8] Lobsang Sangay est Docteur en Droit de l’Université d’Harvard où il a soutenu en 2004 une thèse de doctorat sur la démocratie et l’histoire du gouvernement tibétain en exil.

[9] Voir les articles :
- "Un jeune moine s’immole par le feu à Ngaba", du 17/03/2011
- "De nouvelles restrictions faites aux moines de Ngaba", du 24/03/2011
- "La police armée chinoise boucle le monastère de Kirti à Ngaba", du 14/04/2011
- "Situation à Kirti : appel du Dalaï Lama", du 16/04/2011
- "Crise au monastère de Kirti : appel à l’aide de l’Administration centrale tibétaine", du 23/04/2011
- "Après les avoir niés plus d’un mois, la Chine reconnait qu’il y a des troubles au monastère de Kirti", du 27/04/2011.

[10] Voir l’article de Xinhua "Un haut fonctionnaire du PCC rencontre le président de l’Assemblée nationale française"


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