Quelques impressions d’un voyage au Tibet

décembre 1998 par Webmestre

Lhassa, septembre 98 : une ville chinoise aux grandes artères rectilignes, parsemée d’affreux monuments à la gloire du communisme, de blocs de béton, d’audacieuses façades de céramique blanche. Le Potala, majestueux vaisseau fantôme, domine toute cette laideur, et à l’extrémité de la ville, la peau de chagrin du quartier tibétain continue à rétrécir. Ce choc là, je l’avais déjà eu l’an dernier, mais à un an d’intervalle, je constate l’extrême rapidité de l’expansion urbaine. Nouveaux chantiers omniprésents : hôtels, centres commerciaux, bureaux administratifs.

Nos guides tibétains ne semblent pas partager la fièvre architecturale de l’occupant mais font peu de commentaires : les bouches restent closes, ou les réponses évasives. La délation est partout, les Tibétains ont appris depuis longtemps à ne rien dire devant témoins. « Ils ont tout détruit » me chuchote pourtant entre deux portes, les larmes aux yeux, un musicien originaire du village historique de Shöl, au pied du Potala, qui a cédé la place a une énorme place du style Tiananmen.

Nous poursuivons le voyage : Drepung, Sera, Samye, Gyantse, Sakya, Shigatsé, dans aucun de ces immenses monastères où vivent seulement quelques poignées de moines, nous ne verrons de photos du Dalaï Lama, si ce n’est une ou deux de la taille d’un photomaton, dissimulée derrière des écharpes de prière.

Lhatsé, étape du retour vers le Népal, sorte de ville du « far-est » établie le long de la route : la musique endiablée et les clignotements des néons du karaoké d’en face parviennent jusqu’au restaurant où nous dînons. Mais derrière la vitre sombre, des enfants en haillons tendent discrètement des bols à remplir de restes. En remerciement, un sourire éclatant fend les figures sales. Tout le long de la route menant au Népal, nous verrons ces enfants en guenilles, nu-pieds malgré le froid, et ces silhouettes dignes, immobiles au bout d’un champ, attendant la fin d’un pique-nique pour récupérer les restes. Visiblement, la faim règne au Pays des Neiges. Près de Tingri, je m’arrête pour déposer un sac de vêtements chez le frère d’un ami réfugié en Europe. Je connais bien les membres de cette famille dispersée a travers le monde, et tous florissants aujourd’hui, sauf Thubten, le seul resté au Tibet : le visage marqué par les épreuves et les privations, il parait quinze ans de plus que ses frères et soeurs, malgré son perpétuel sourire. Il me raconte son récent voyage au Népal, où il a le droit de rendre de brèves visites à sa famille. Il ne veut plus y retourner. Chargé de cadeaux et d’argent par sa mère et ses frères, il s’est tout fait voler et tabasser en prime, par les douaniers népalais, sur le chemin du retour. « A qui se plaindre ? » dit-il en riant. « Aux chinois, pour avoir droit à un passage à tabac supplémentaire ? De toute façon, le Tibet, c’est mon pays, je ne peux pas vivre ailleurs ». Après la descente rapide du haut plateau par les gorges abruptes de Nyalam, nous nous retrouvons, un peu hébétés, dans la moiteur d’après mousson de Katmandou, repensant, le coeur serré, aux hommes simples et droits rencontrés en chemin, aux paysages arides et grandioses de leur pays semé de ruines. Une fois redescendu, on ne peut plus oublier que là-haut, chaque sourire cache une souffrance et que sous le bleu éclatant d’un ciel à nul autre pareil, le peuple tibétain continue à vivre l’enfer.

Source : Lettre du CSPT n° 48, décembre 1998


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