Commentaire

Quelques leçons à tirer du message du Dalaï Lama

samedi 12 mars 2011 par Rédaction , Jean-Paul Ribes

Si elle ne constitue pas une surprise pour celles et ceux qui suivent avec attention l’actualité tibétaine [1], la décision du XIV° Dalaï Lama de transmettre l’intégralité de ses fonctions politiques à un représentant librement élu du peuple tibétain [2] n’en constitue pas moins un événement important et significatif.
D’abord pour les Tibétains eux-mêmes, qui ont eu le temps de s’habituer à un processus électoral, en particulier depuis 2001 avec l’élection du Kalon Tripa [3] et tous les responsables de l’administration en exil.

Les élections de 2011 auront ceci d’historique que le futur dirigeant élu le 20 mars prochain aura une responsabilité accrue et se trouvera donc au devant de la scène politique et médiatique concernant l’avenir du Tibet. On remarquera au passage que les trois candidats les mieux placés sont tous laïcs.
Voilà qui crée une nouvelle donne qui semble embarrasser les autorités chinoises malgré leur réaction immédiate dénonçant un tour de passe-passe de la part du dirigeant tibétain. Eux qui avaient tout préparé pour mettre la main sur le prochain Dalaï Lama (en contrôlant le jeune Panchen Lama qu’ils ont désigné, notamment) [4] [5], les voici obligés de défendre les pouvoirs d’une institution dont ils n’ont cessé de dénoncer le caractère féodal. Et, de surcroît, ils perdent le meilleur interlocuteur dont ils pouvaient rêver, car désormais ils trouveront en face d’eux - eux dont aucun n’est élu - un témoin de l’apprentissage par la communauté tibétaine en exil de la démocratie.

Le message portera bien sûr largement au delà de Dharamsala et singulièrement auprès des milliers de démocrates chinois qui plaident pour la liberté d’expression et un multipartisme qui vient de leur être brutalement refusé par un des caciques du régime, M. Hu Bangguo, président de l’Assemblée. [6]

Le message est d’autant plus fort qu’il constitue un modèle de cette "transition démocratique" que l’on voit aujourd’hui présente là où on ne l’attendait pas. A ceci près qu’ici, elle est voulue, organisée, et que les citoyens concernés auraient tendance à demander à leur dirigeant de rester plutôt que de "dégager" [7]. Message également sur cette fameuse stabilité [8] évoquée de façon récurrente par le gouvernement chinois pour justifier le maintien de sa dictature et de celle du Parti.
Au contraire le sage de Dharamsala leur fait remarquer que tout phénomène étant appeler à ne demeurer qu’un temps, la seule stabilité est celle qui peut naître du changement librement consenti, la démocratie pour dire le mot.
Précisément, certains expriment leur crainte de voir s’éloigner cette sagesse, d’autant plus appréciée qu’elle se confondait avec un enseignement millénaire de bienveillance, de modération et de non-violence.
Le Dalaï Lama, si on lit bien son message, a pris la précaution de rassurer sur ce point. Il garde toute son attention à ses responsabilités spirituelles à l’égard de ses compatriotes, des citoyens chinois et de tous ses disciples dans le monde. Il est probable que, poursuivant la préparation de ce qui constitue l’issue de toute vie - et que l’on souhaite la plus tardive possible en ce qui le concerne - il sera amené, dans les mois ou les années qui viennent, à confier la charge de continuer son œuvre spirituelle à un ou plusieurs jeunes maîtres ; on cite les noms du Karmapa [9], de Ling Rinpoche [10], …
Reviendra-t-il dans ce monde en tant que Dalaï Lama ? C’est à lui de le dire. Mais à nous de faire vivre son message dans un monde sans frontières, globalisé mais aussi nomade, auquel il a déjà donné une "feuille de route" issue d’une sagesse tibétaine qu’il nous faut défendre.

Jean-Paul Ribes


NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du texte originel ci-dessus.

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[1] Voir l’article "Le Dalaï Lama souhaite se retirer du Gouvernement tibétain en exil" ; du 24/11/2010.

[2] Voir l’article "Message de Sa Sainteté le Dalaï Lama à l’occasion du 52ème anniversaire du soulèvement national tibétain".

[3] Le Kalon Tripa est l’équivalent du Premier ministre au sein du gouvernement tibétain en exil. Pour plus de renseignements sur l’organisation du gouvernement tibétain en exil, voir les articles :
- "Histoire de l’Administration centrale tibétaine"
- "Constitution Charte des Tibétains en exil"
- "Judiciaire Commission suprême de justice"
- "Législatif Assemblée des députés du peuple Tibétain"
- "Exécutif Le Kashag et les départements majeurs sous son autorité".

[4] Voir le dossier sur le Panchen Lama, et en particulier "Qui est le Panchen Lama ?", et "Le sens de la manœuvre chinoise".

[5] Voir à ce propos les articles
- "Le gouvernement chinois veut contrôler l’identification des "Bouddhas vivants"", du 08/08/2007 ;
- "Le Dalaï Lama envisage de nommer son successeur avant sa mort", du 20/11/2007 ;
- "Le Karmapa pourrait-il être le successeur du Dalaï Lama ?", du 29/11/2007.

[6] Le président de l’Assemblée nationale populaire, Wu Bangguo, a exclu le 10 mars 2011 toute réforme politique allant vers le multipartisme, alors que des propos assez vagues du Premier ministre Wen Jiabao sur une réforme des institutions avaient soulevé des espoirs d’ouverture en 2010.
"Les conditions nationales de la Chine impliquent que nous n’allons pas nous engager sur la voie de rotations politiques du pouvoir, ni sur celle de la diversité des idéologies politiques", a déclaré M. Wu devant les près de 3 000 délégués du parlement chinois.
La Chine ne peut pas "copier mécaniquement" les caractéristiques des parlements étrangers, a poursuivi le numéro deux du régime devant les députés réunis du 5 au 14 mars pour leur unique session plénière de l’année.
Selon M. Wu, les lois adoptées par l’Assemblée nationale populaire doivent viser à "renforcer et améliorer la direction du parti (communiste)" ainsi "qu’à consolider et à perfectionner son rôle de parti au pouvoir".
En août 2010, le Premier ministre Wen Jiabao avait déclaré à Shenzhen que la Chine devait "promouvoir la réforme du système politique", mieux garantir les droits des citoyens et instaurer des garde-fous contre l’arbitraire étatique.
Ces propos avaient suscité des conjectures sur des dissensions parmi les plus hauts dirigeants chinois.
Certains commentateurs avaient toutefois souligné que les propos de M. Wen ne différaient pas sur le fond du discours habituel du régime. (Source : AFP, 10/03/2011).

[7] Note pour les lecteurs futurs, qui auront peut-être oublié les événements de début 2011 : allusion au mot d’ordre "dégage" des manifestants en Tunisie et en Egypte adressé à leurs dirigeants.

[8] Voir le commentaire "Au nom de la stabilité", du 31/01/2011.

[9] Le Karmapa est le chef spirituel de la lignée Karma Kagyu. Voir la rubrique "Fuite du Karmapa du Tibet"

[10] Ling Rinpoche est le Tulkou (réincarnation) du précepteur du 14ème Dalaï Lama, et donc en théorie le précepteur du prochain Dalaï Lama.


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