Qui est le Panchen Lama ?

lundi 1er janvier 1996 par Jean-Paul Ribes

Ce titre prestigieux construit à partir d’un terme sanscrit « pandita » : érudit, et tibétain « chenpo » : grand, fut offert en hommage par le Vème Dalaï Lama, autour des années 1600, à son précepteur, l’abbé du monastère du Tashi Lumpo, à Shigatsé, la deuxième ville du Tibet. Rien, désormais, ne devait séparer le « Grand Erudit » de « l’Océan de Sagesse », unis par ce que les Tibétains nomment la relation Lune-Soleil. Plus forte que la fraternité, elle est fondée sur deux principes : la reconnaissance au-delà de la mort humaine, l’enseignement des rituels les plus profonds. Voeux plus ou moins pieux, car on sait que les deux prélats eurent parfois de sérieux accrochages, mais qui se terminèrent toujours par la réconciliation, et ne mirent jamais en doute la fidélité en esprit de l’un à l’autre.

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Xe Panchen Lama

Ainsi, le Xème Panchen Lama, mort en 1989, n’eut jamais, malgré les efforts des Chinois, un mot de désaveu pour le Dalaï Lama. Mieux, il conclut sa dernière apparition publique en s’interrogeant sur l’occupation de son pays par la Chine, et sur ses effets plus néfastes que bénéfiques. D’où les doutes de son entourage sur la nature de sa mort subite. Quoi qu’il en soit, une commission fut nommée très officiellement par les autorités d’occupation chinoise pour chercher sa réincarnation. Elle était présidée par Chadrel Rinpoché, placé à la tête du Tashi Lumpo. Ce dernier semblait avoir l’oreille des chinois, qui le sermonnèrent afin qu’il respecte scrupuleusement tous les rituels propitiatoires. Il le fit.

Vingt-huit candidats furent ainsi sélectionnés, trois retenus, et comme il convenait, transmis, au delà de l’Himalaya, au Dalaï Lama pour qu’il parachève le choix, consultant les oracles, interprétant les songes... Le choix se porte sur Gendun Choekyi Nyima, fils d’une famille de nomades de la région de Nagchu, à quelques centaines de km au nord de Lhassa. Il le fit savoir le 14 mai 1995.

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Gendun Choekyi Nyima

Alors que partout au Tibet la nouvelle du « retour » du Panchen Rinpoché entraînait réjouissances et festivités, les Chinois prirent la chose très mal. Exhumant une tradition remontant aux empereurs mandchous et dénoncée à leur chute en 1911, ils prétendirent avoir le droit d’exercer leur propre choix par un tirage au sort. La vérité est qu’en 1792, un empereur mandchou, Qian Long, avec l’accord plus ou moins amusé du Dalaï Lama, décida d’instituer un rituel au cours duquel, devant la statue de Bouddha, on tirerait au sort parmi trois noms écrits sur une plaquette d’ivoire et enfermés dans une urne d’or.

Mais écrits par qui ? Choisis par qui ? Par le Dalaï Lama ou le Panchen Lama.

Et puis, il faut se souvenir : l’empereur était bouddhiste, éduqué par des précepteurs tibétains, entièrement dévoué, dans le domaine spirituel, au Dalaï Lama. Enfin, on souligne au Bureau du Dalaï Lama que cette procédure folklorique ne fut utilisée que 3 fois en 2 siècles, et pour la dernière fois en 1888. Le Xème Panchen Lama, tout comme l’actuel XIVème Dalaï Lama, s’en passèrent fort bien.

N’empêche. On enrageait à Pékin, cet été 95, devant cet acte de résistance réunissant tous les Tibétains. Alors on commença par enlever l’enfant et sa famille. Destination inconnue. Chadrel Rinpoché, l’abbé scrupuleux, fut arrêté avec son secrétaire. On envoya des brigades de rééducation dans les monastères et en premier lieu à Shigatsé.

Voici les consignes :

  1. Tous les moines doivent rester calmes.
  2. Aucun mouvement corporel ne sera toléré, et les têtes ne devront pas bouger.
  3. Personne n’est autorisé à aller aux toilettes pendant la réunion. Toute personne n’observant pas ces règles sera considérée comme soutenant Chadrel Rinpoché et sera sévèrement punie.

La foule néanmoins accueillit les officiels à coups de pierres et la troupe fut déployée autour de Shigatsé. La révolte des moines se traduisit par des affiches sur lesquelles on pouvait lire « Seul le chef de tous les Tibétains et l’apôtre de la paix dans le monde, le Dalaï Lama, est habilité à reconnaître la réincarnation du Panchen Lama ».

Quarante-huit moines furent arrêtés. L’un se suicida plutôt que de se renier. On apprit au mois d’octobre que Sengchen Lobsang Gyaltsen, le moine rouge de sinistre renommée qui avait été placé à la tête du Tashilumpo par les Chinois pendant la Révolution Culturelle, dirigerait désormais le monastère.

Le 17 novembre 1995, 75 grands lamas furent convoqués à Pékin, le pistolet sur la tempe. Certains d’entre eux sont de longue date les otages de la Chine, qui cherche encore une fois à se servir d’eux. On dit à Lhassa que le gouvernement a ainsi promis à Pagpalah Guelek Rinpoché de libérer son fils, condamné pour meurtre, s’il prenait position contre le Dalaï Lama. Le dernier jour on fit poser pour la photo tous les lamas en compagnie de Jiang Zemin et du Politburo au grand complet. Manquait pourtant Ngapo Ngawang Jigmé, collaborateur n° 1, jugé trop conciliant puisqu’il avait reconnu récemment que l’actuel Dalaï Lama n’avait pas été « tiré au sort » dans l’urne d’or !

Aujourd’hui, à l’abri des regards indiscrets et comptant sur l’indifférence de l’opinion mondiale, les Chinois ont procédé à leur parodie. Tout en développant une campagne d’une violence inouïe contre le Dalaï Lama. Gros titres à la Une du Xizang Ribao, le Quotidien chinois du Tibet, slogans apposés sur les murs des écoles par les soldats chinois, menaces et déploiements de forces. Une campagne qui risque bien d’avoir le résultat inverse, en rapprochant encore les Tibétains de leur chef spirituel.

Aux yeux du monde, l’illusion d’une liberté religieuse au Tibet occupé aura fait long feu, et Nicholas Burns exprimait le point de vue du Président Clinton en déclarant que l’Amérique était « découragée et vraiment mécontente » de l’attitude chinoise, qui lui inspire « de l’inquiétude ».

A Paris, le Quai d’Orsay tente toujours de comprendre comment un enfant de six ans peut déclencher tant de remous sur le Toit du Monde. Et ce n’est peut-être qu’un début.

Qui a écrit il y a longtemps « qu’une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » ?

Ironie de l’histoire : c’est Mao Tsetoung.

Source : Lettre du Tibet (Comité de Soutien au Peuple Tibétain) et 36 15 Tibet Info


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