Un ancien monastère en état de siège à cause d’une réincarnation

dimanche 6 octobre 2013 par Rédaction , Monique Dorizon

Le 30 juillet 2013, un monastère tibétain de plus de 300 ans a été fermé pour une période indéterminée après que les autorités chinoises aient tenté d’imposer leur propre choix dans une réincarnation.

Le monastère de Shar Rongpo Gaden Dhargyeling, situé dans la municipalité de Shagchu [1], a subi d’intenses pressions et restrictions depuis 2010, lorsque les autorités locales ont arrêté et condamné à 7 ans de prison Lama Dawa Rinpoché, important maître spirituel accusé d’avoir communiqué avec le Dalaï Lama lors de la recherche de la neuvième réincarnation de Rongpo Choeje, lama supérieur du monastère [2].

Selon les informations reçues par le Tibetan Centre for Human Rights and Democracy (TCHRD) basé à Dharamsala en Inde, sur 113 grands et petits monastères de la préfecture de Nagchu, le monastère de Shar Rongpo est considéré comme faisant partie des premiers monastères réactionnaires, indignes de toute mesure de clémence officielle.

Une source a déclaré au TCHRD que "les moines ont quitté le monastère pour échapper au harcèlement et à l’éducation politique. À plusieurs reprises ils ont envoyé une pétition pour la libération de Lama Dawa, mais les autorités n’ont rien fait. Le monastère a connu des problèmes de rassemblement pour les prières quotidiennes et d’autres activités religieuses, même le rituel de Gutor (rituel annuel visant à détruire neuf forces maléfiques) a cessé".
Signe évident que le désordre spirituel créé par les autorités chinoises a atteint des limites extrêmes, des sources ayant des contacts à Nagchu ont signalé une tentative de suicide d’une mère tibétaine de deux enfants, Dolma Yangkey, voulant protester contre la décision de la Chine d’imposer son propre choix pour la réincarnation du dirigeant du monastère de Shar Rongpo et la détention de son mari, Tsering Lobsang.

Selon certaines sources, Dolma Yangkey, 28 ans, avait appelé les autorités chinoises à cesser de créer des tensions et la discorde dans le monastère et son village, à libérer tous les Tibétains, y compris son mari arrêté récemment, et de revenir sur leur décision d’imposer une réincarnation.
Ses appels n’ayant pas été entendus, elle a voulu mettre fin à ses jours en s’écrasant avec sa moto, montrant ainsi son découragement face aux "tromperies et harcèlements" chinois dans la région du monastère de Rongpo.
Elle est tombée et a été gravement blessée. La police l’a ensuite emmenée à l’hôpital dans la préfecture de Nagchu où elle est traitée. Les visiteurs ont été empêchés de la voir alors que des agents de police sont stationnés dans l’hôpital pour veiller sur elle.

Lobsang Tsering, mari de Dolma Yangkey faisait partie des 50 Tibétains arrêtés par la police locale quelques jours avant la fermeture du monastère quand des Tibétains se sont affrontés avec les cadres de "l’équipe de travail" permanente en poste au monastère. À leur tour, des policiers armés ont battu des Tibétains qui ont été nombreux à être hospitalisés ou détenus dans un lieu inconnu. Les autorités locales ont envoyé les deux jeunes enfants du couple dans un orphelinat de la préfecture de Nagchu bien que les grands-parents maternels de l’enfant, Amchi Namsey et Choeying Dolma, disposent de moyens suffisants pour s’en occuper (…). Toutes les personnes détenues, au nombre de 50 environ, ont été brutalement battues, en particulier Dhungphug qui a reçu des blessures mortelles dues à des coups donnés par des policiers. Dhungphug avait déjà été arrêté en 2010, mais avait été libéré un mois plus tard.

Des Tibétains du comté de Nagchu se sont opposés aux autorités au cours des cinq dernières années. Le ressentiment et la désapprobation sont forts parmi les Tibétains contre la décision du gouvernement de choisir la neuvième réincarnation de Rongpo Choeje, chef spirituel du monastère de Rongpo. Lama Dawa Rinpoché avait apparemment été impliqué dans la recherche de la prochaine réincarnation.

Lama Dawa, 78 ans, a été arrêté le 17 mai 2010 à Lhassa. Il a été libéré un mois plus tard, ses responsabilités au monastère lui ayant été toutes retirées et il lui a été ordonné de ne pas maintenir de contacts avec le monastère. Des restrictions à ses mouvements ont été imposées. Thôgô la, situé près de la ville de Nagchu, étant la limite à ne pas dépasser. Il a ensuite été accusé de collusion avec le Dalaï Lama dans la recherche de la réincarnation de Rongpo Choeje et condamné à sept ans de prison. Son état de santé est resté fragile. Il a de nouveau été arrêté et condamné à sept ans d’enfermement.
Les dernières informations sur Lama Dawa, obtenues au cours du mois de juillet 2013, indiquaient qu’il était en résidence surveillée et recevait un traitement dans des conditions de haute sécurité à Lhassa. On ne sait pas si Lama Dawa devra terminer de purger sa peine de prison après la fin de son traitement. Au moins une source a déclaré au TCHRD que Lama Dawa bénéficiait d’une libération pour raison médicale.
La détention et la condamnation arbitraires de Lama Dawa ont accru les tensions et le ressentiment parmi les Tibétains. Et les autorités locales ont réagi en accentuant l’enseignement de la propagande parmi les communautés monastiques et laïques, renforçant la présence policière et mettant en scène des visites intimidantes et orchestrées de délégations de fonctionnaires de haut niveau, ou comme le disent les médias d’Etat, des "équipes d’inspection", au monastère assiégé.

Quatre autres Tibétains, dont trois moines du monastère de Rongpo : Dhungphug, Ngawang Jangchup, Ngawang Thokmey, et un laïc, Tashi Dhondup ont également été arrêtés mais ont été libérés après quelque temps. Cependant, Ngawang Jangchup, 35 ans, faisant partie du personnel du monastère de Rongpo, a été condamné à deux ans de prison sur accusation de possession d’un portrait du Dalaï Lama chez lui.

Le 23 août 2013, dans le cadre d’une campagne de 20 jours "d’éducation patriotique" en cours de mise en œuvre au monastère de Shar Rongpo, une équipe d’inspection de haut niveau composée de hauts dirigeants du Parti de la "Région Autonome du Tibet" est venue au monastère, a rapporté la version officielle en langue tibétaine du Quotidien du Peuple du 8 août 2013.
Dans l’équipe d’inspection se trouvaient Wu Yingjie, vice-secrétaire du Parti de la "Région Autonome du Tibet", Dothog, membre du Comité du Parti et secrétaire du Parti de la Préfecture de Nagchu, Kelsang Tsering, vice-gouverneur et secrétaire de la Politique et du Comité du droit de la Région autonome du Tibet, Dupkhang Thupten Khedup, vice-président de la Conférence politique populaire consultative chinoise pour la "Région Autonome du Tibet"(CCPPC) et Directeur de l’Association des bouddhistes de Chine (BAC) pour la "Région Autonome du Tibet" ainsi que Sonam Rinzin, vice-président de la CCPPC de la "Région Autonome du Tibet" et vice-président du Ministère du Front du travail de la "Région Autonome du Tibet" (UFWD). L’article indique que l’objectif de la visite était d’améliorer la "gestion du monastère se concentrant en particulier sur des mesures de gestion novatrices afin que le bouddhisme puisse s’adapter au socialisme, créant ainsi la stabilité et l’harmonie dans le monastère".
Des sources ayant des contacts à Nagchu ont déclaré que les autorités ont mis en place cinq contingents de policiers armés totalisant environ 2 000 policiers armés dans les municipalités de Shagchu, Shora, Dathang, Gesoedo et Humkang Sumdo, dans le comté de Nagchu . Pendant la journée, les policiers armés, tenant des fusils, effectuent quotidiennement des patrouilles dans leurs véhicules.

Les incessantes sessions d’éducation politique ont perturbé les activités religieuses normales, ce qui rend impossible la tenue des séances de prières régulières et des cérémonies spéciales de prière. Ces séances de prières habituelles étaient devenues impossibles à mener à cause de "l’éducation patriotique", qui exige totales loyauté et allégeance au Parti communiste de Chine et la dénonciation du Dalaï Lama, le chef spirituel tibétain. De nombreux moines ont été contraints de fuir le couvent pour échapper aux assauts quotidiens de l’éducation politique. À ce jour, il n’est parvenu aucune information sur la réouverture du monastère, sauf pour la visite de la délégation de haut niveau du Parti de la "Région Autonome du Tibet", quand les moines et les habitants tibétains ont été contraints de s’aligner en tenant des Khatas données par les membres de "l’équipe de travail" pour accueillir l’équipe d’inspection.

Le 20 mai 2010, moins de trois jours après l’arrestation de Lama Dawa Rinpoché, plus de 50 fonctionnaires locaux et environ 150 policiers armés sont arrivés au monastère et ont imposé l’éducation politique des moines, leur ordonnant de dénoncer le Dalaï Lama et Lama Dawa, ou de ne maintenir aucun contact avec Lama Dawa.
Ce n’est pas la première fois que le monastère de Shar Rongpo est fermé par décision officielle. L’incident du "20/5", ainsi baptisé par les médias d’État, a conduit à la fermeture du monastère en 2010 après la fuite de certains moines désireux d’éviter leur participation à "des campagnes d’éducation patriotique" qui les obligeait à dénoncer le Dalaï Lama, sous la direction spirituelle duquel le monastère a été fondé.
Il a été dit aux moines que Lama Dawa n’était plus un lama réincarné puisqu’il suivait le Dalaï Lama et non le Parti. La dénonciation officielle du Dalaï Lama et le retrait de Lama Dawa de toutes ses positions spirituelles au monastère avaient émotionnellement eu des conséquences sur au moins deux moines. Lors de la séance d’éducation politique, le moine Jampa s’est évanoui, incapable de contrôler ses émotions, et le moine et préfet du monastère, Tashi Tensang est tombé malade. Plus tard, le Préfet Tashi Tensang a perdu son emploi au monastère.

Peu de temps après, le moine Ngawang Gyatso, 70 ans, s’est suicidé à son domicile. Il avait laissé de nombreuses lettres écrites sur un long laps de temps, mais le contenu de ces lettres demeure inconnu car elles ont été saisies par les autorités locales. Les moines ont reçu l’ordre de ne pas parler du suicide avec des étrangers, ou sinon, ils iraient en prison.

En juillet 2010, le monastère a été rouvert, mais les tensions persistantes ont très vite éclaté. Le 17 juillet 2010, le moine Ngawang Lobsang, un des cadres supérieurs du monastère avec 17 autres moines, a soumis une pétition aux autorités locales réclamant le rétablissement des liens religieux entre Lama Dawa et le monastère et la fin des campagnes de dénonciation du Dalaï Lama et de Lama Dawa. La requête a été ignorée et des moines ont quitté le monastère.
Ils sont désormais tenus de se présenter au bureau de l’administration locale chaque semaine, et ils ne sont pas autorisés à s’aventurer au-delà des limites du comté de Nagchu.

En juillet 2013, lorsque le monastère était sur le point de fermer, environ 50 Tibétains se sont affrontés avec les membres et les cadres de "l’équipe de travail", stationnés en permanence au monastère dans le cadre de la nouvelle politique du gouvernement voulant créer "des couvents et monastères modèles, harmonieux et respectueux de la loi". Cette politique a été mise en place fin 2011, bien que des projets "expérimentaux" aient été mis en œuvre plus tôt dans d’autres régions tibétaines [3].

Au monastère de Shar Rongpo, en préparation de la visite de la délégation du Parti de la "Région Autonome du Tibet", les membres et les cadres permanents de "l’équipe de travail" ont ordonné aux Tibétains locaux d’apporter des Khatas pour accueillir la délégation du Parti de la "Région Autonome du Tibet". Les moines et les Tibétains s’y sont opposés en disant qu’ils ne pouvaient pas paraître heureux quand le monastère et le village continuaient à souffrir. Cela a conduit à des échanges fougueux entre cadres de "l’équipe de travail" et Tibétains locaux. Environ 50 Tibétains, y compris Lobsang Tsering, mari de Dolma Yangkey, ont été brutalement battus et détenus.

Sources : Tibetan Center for Human Rights and Democracy, 10 septembre 2013, Radio Free Asia, 12 septembre 2013 (concernant la tentative de suicide de Dolma Yangkey).

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[1] Shagchu (Xiaqu en chinois) est une localité du canton de Nyainrong (tib. སྙན་རོང་, ch. 聂荣), Préfecture de Nagchu (tib. ནག་ཆུ་, ch. 那曲), "Région Autonome du Tibet".
Localiser Shangchu sur cette carte.

[2] La huitième incarnation de Rongpo Choeje est décédée le 14 août 1999.
Le monastère de Shar Rongpo Gaden Dargyeling a été fondé par le premier Rongpo Choeje, Drubthob (Yogi) Lobsang Trinley, sur un décret du Grand Cinquième Dalaï Lama (1617-1682) après une prophétie par l’oracle de Nechung au cours de l’année Fer - dragon de la 11e Rabjung (17ème siècle).
Depuis la fondation du monastère, il y a eu huit réincarnations du lama Rongpo Choeje.

[3] Voir les articles !
- "La Chine sur le point de créer un "Monastère modèle" respectueux de la loi, dans la "Région autonome du Tibet"", du 06/11/2011 ;
- "La Chine s’engage à renforcer le contrôle des monastères du Tibet", du 12/01/2012.


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