Discours d’Oslo de SS le Dalaï Lama, déc. 1989

Discours prononcé à Oslo par sa Sainteté le Dalaï Lama lors de la remise du Prix Nobel de la Paix le 10 décembre 1989

vendredi 5 janvier 1996 par Rédaction

Mes frères, mes soeurs,

C’est à la fois un honneur et un plaisir que de me trouver parmi vous aujourd’hui. Je suis très heureux de voir dans cette assemblée tant d’amis de vieille date venus de tous les coins du monde ; et je vais me faire ici de nouveaux amis que j’espère avoir encore l’occasion de retrouver par la suite.

Lorsque je rencontre des gens venant de différentes parties du monde, je constate immanquablement que nous sommes, au fond, tous semblables : nous sommes tous des êtres humains. Nous pouvons être vêtus différemment, avoir une couleur de peau différente, parler des langues différentes. Voilà pour les apparences. Mais fondamentalement, nous sommes tous les mêmes êtres humains. C’est cela qui nous lie les uns aux autres, qui nous permet de nous comprendre, de devenir des amis, de nous sentir proches les uns des autres.

M’interrogeant sur ce que je pourrais vous dire aujourd’hui, j’ai choisi de vous faire part de certaines de mes réflexions au sujet des problèmes qui se posent à nous tous en tant que membres de la famille humaine. Du fait que nous partageons cette petite planète qu’est la terre, nous devons apprendre à vivre en paix et en harmonie les uns avec les autres, et avec la nature. Ce n’est pas seulement un rêve, c’est une nécessité. Nous dépendons les uns des autres à tant de titres que nous ne pouvons plus vivre en communautés isolées et ignorer ce qui se passe hors de chez nous. Nous devons nous entr’aider en cas de difficultés, et nous devons partager les avantages qui nous échoient C’est un être humain ordinaire qui s’adresse à vous, un simple moine. Si vous trouvez quelque utilité à ce que je vais dire, alors j’espère que vous essayerez de le mettre en pratique.

Je souhaite également vous faire part des sentiments qui sont les miens face au sort tragique du peuple du Tibet Le Prix Nobel est une distinction que les Tibétains ont certainement méritée par leur courage et leur détermination jamais démentie durant quarante années d’occupation étrangère. En tant que porte-parole libre de mes compatriotes captifs, j’estime que c’est un devoir de parler en leur nom. Ce n’est ni la colère ni la haine de ceux qui sont responsables des souffrances immenses imposées à notre peuple, de la destruction de notre pays, de l’anéantissement de notre culture, qui me poussent à parler. Ceux-là aussi sont des êtres humains qui luttent pour trouver le bonheur, et ils ont droit à notre compassion. Mais je veux vous mettre an courant de la situation dramatique qui caractérise aujourd’hui mon pays et de l’espoir qui anime mon peuple, car dans notre lutte pour la liberté, la vérité est la seule arme dont nous disposions.

Comprendre que nous sommes tous essentiellement les mêmes êtres humains, qui recherchons le bonheur et essayons d’éviter la souffrance, fait naître en nous le sens de la fraternité, un sentiment chaleureux d’amour et de compassion pour autrui. Cette prise de conscience est indispensable pour survivre dans un monde qui se contracte sans cesse. En effet, si nous ne recherchons égoïstement que ce que nous pensons être dans notre seul intérêt, en faisant fi des besoins d’autrui, nous risquons non seulement de porter atteinte aux autres, mais à nous-mêmes également. Voilà qui est devenu évident au cours de ce siècle. Nous savons qu’une guerre atomique, de nos jours, serait une forme de suicide, ou que de polluer l’air et les océans en ne pensant qu’aux avantages immédiats, revient à détruire ce qui est essentiel à notre survie. Alors qu’individus et nations deviennent de plus en plus interdépendants, nous n’avons d’autre recours que de développer ce que j’appelle un sens de la responsabilité universelle.

Nous formons aujourd’hui une grande famille. Ce qui se produit à tel endroit de la planète nous atteint tous. Et bien entendu, pas uniquement quand il s’agit d’événements malheureux, mais également d’événements heureux. Non seulement sommes-nous au courant de ce qui se passe ailleurs, grâce aux extraordinaires moyens de communication modernes, mais de plus, nous sommes directement atteints par des événements qui se produisent au loin. Nous éprouvons de la tristesse quand des enfants meurent de faim en Afrique de l’Est. De même, nous ressentons de la joie quand une famille se trouve réunie après avoir été séparée pendant des dizaines d’années par le Mur de Berlin. Nos récoltes et notre bétail sont contaminés, notre santé et notre existence menacées lorsqu’un accident survient dans une centrale nucléaire située très loin dans un autre pays. Notre sécurité est renforcée quand la paix est rétablie entre deux pays d’un autre continent qui étaient en guerre.

Pourtant, guerre et paix, destruction ou protection de la nature, violation ou défense des droits de l’homme et des libertés démocratiques, misère ou bien-être matériel, existence ou non de valeurs morales et spirituelles, compréhension ou non à l’égard d’autrui ne constituent pas des phénomènes isolés que l’on peut analyser et aborder séparément les uns des autres. Ils sont en fait interdépendants, à tous les niveaux, et doivent être compris dans cette optique complémentaire.

La paix, au sens d’absence de guerre, ne signifie pas grand chose pour quelqu’un qui est en train de mourir de faim ou de froid. Elle ne soulagera en rien les souffrances d’un prisonnier politique soumis à la torture. Elle n’apportera aucun réconfort à ceux qui ont perdu des êtres chers dans les inondations causées par un déboisement incontrôlé pratiqué dans un pays voisin. La paix ne peut s’installer de façon durable que là où les droits de l’homme sont respectés, où les gens ont de quoi manger, où individus et nations sont libres. Or la véritable paix avec soi-même et avec le monde n’est réalisable que par la paix de l’esprit. De même que les phénomènes dont je viens de parler sont interdépendants, ainsi, par exemple, un environnement de bonne qualité, la richesse et la démocratie sont peu de chose en regard de la menace de guerre, notamment de la guerre nucléaire : de même, le développement matériel ne suffit pas à assurer le bonheur de l’homme.

Certes, le progrès matériel est important pour l’avancement de l’humanité. Au Tibet, nous n’avons porté que trop peu d’attention au développement technologique et économique, et nous comprenons aujourd’hui que ce fut une erreur. Pourtant, le progrès matériel sans progrès spirituel peut aussi entraîner des problèmes graves. Dans certains pays, l’on accorde une trop grande place à des considérations extérieures aux dépens du développement intérieur. Tous deux me paraissent importants et doivent aller de pair, en assurant un équilibre judicieux entre l’un et l’autre. Les visiteurs étrangers décrivent les Tibétains comme des gens heureux, enjoués. Ces qualités font en effet partie de notre caractère : elles ont été forgées par des valeurs culturelles et religieuses prônant l’importance de la paix de l’esprit qui découle de l’amour et de la bonté envers tous les êtres vivants, qu’ils soient des êtres humains ou des animaux. La paix intérieure, voilà la clef. Si vous possédez cette paix intérieure, les problèmes extérieurs n’entameront pas votre sens profond de sérénité et de paix. Un tel état d’esprit permet d’aborder n’importe quelle situation avec calme et modération, tout en préservant son bonheur intérieur. Voilà ce qui est important. Quelle que soit votre aisance matérielle, sans cette paix intérieure les circonstances peuvent encore et toujours vous inquiéter, vous troubler ou vous rendre malheureux.

Il est, par conséquent, de la plus grande importance de bien saisir cette relation entre une attitude de paix intérieure et les événements du monde, et d’essayer de résoudre les problèmes d’une façon équilibrée en tenant compte de ces divers aspects. Ce n’est certes pas aisé. Maïs on ne gagne rien à tenter de résoudre un problème si, ce faisant, on en crée un autre, tout aussi grave. Nous n’avons donc en réalité pas le choix : nous devons susciter un sens de la responsabilité universelle, non seulement au sens géographique, mais également pour ce qui est des divers problèmes auxquels notre planète se trouve confrontée.

Cette responsabilité ne revient pas uniquement aux dirigeants de nos pays ou à ceux que nous avons désignés ou élus pour assumer telle ou telle fonction. Elle revient à chacun de nous, individuellement. La paix, par exemple, commence dans le cœur de chacun de nous. Si nous avons la paix intérieure, nous sommes en paix avec ceux qui nous entourent Quand notre communauté est dans un état de paix, elle peut être en paix avec les communautés voisines, et ainsi de suite. Quand nous éprouvons de l’amour et de la bonté envers autrui, celui-ci se sent aimé, entouré de sollicitude, et de plus, nous contribuons ainsi à accroître notre propre bonheur et notre paix intérieure. Ces sentiments d’amour et de bonté peuvent être développés consciemment grâce à certaines pratiques. Pour certains, la manière la plus efficace consistera à pratiquer une religion. Pour d’autres, des pratiques non religieuses conviendront mieux. Ce qui compte, c’est que nous fassions, et cela s’applique à chacun de nous, un effort authentique pour assumer nos responsabilités les uns à l’égard des autres, et envers le milieu naturel dans lequel nous vivons.

Ce qui se passe actuellement autour de nous me semble très encourageant. Les jeunes de nombreux pays, notamment dans le Nord de l’Europe, ont demandé avec insistance que l’on mette fin à la destruction de l’environnement menée au nom du progrès économique et qui risquait d’être lourde de conséquences redoutables. Et voilà les dirigeants politiques du monde entier qui commencent à prendre des mesures concrètes pour traiter le problème. Le rapport présenté au Secrétaire Général des Nations Unies par la Commission Mondiale sur L’Environnement et le Développement (Rapport Brundtland) a constitué une étape importante et a fait comprendre aux gouvernements que le problème était devenu urgent. Les efforts qui ont été déployés pour rétablir la paix dans des régions déchirées par la guerre et pour défendre le droit à l’autodétermination de certains peuples ont eu pour conséquence le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, et l’établissement d’une Namibie indépendante. Sans relâche, des peuples ont agi de façon non violente pour amener bien des bouleversements spectaculaires, de Manille aux Philippines jusqu’à Berlin en Allemagne de l’Est, permettant ainsi à plusieurs pays de se rapprocher d’une véritable démocratie. La guerre froide tire apparemment à sa fin et l’espoir renaît partout. Les efforts courageux du peuple chinois pour amener des changements du même ordre ont malheureusement été brutalement écrasés en juin dernier. Mais ces efforts eux aussi sont une source d’espoir. La puissance militaire n’a pas anéanti le désir de liberté et la détermination du peuple chinois d’y parvenir. Je suis frappé d’admiration pour ces jeunes gens, à qui l’on a appris que "le pouvoir vient du canon des fusils" et qui choisissent comme arme la non-violence.

Ce que révèlent ces changements positifs, c’est que la raison, le courage, la détermination et l’inextinguible désir de liberté peuvent finalement triompher. Dans la lutte qui oppose d’une part les forces de la guerre, de la violence et de l’oppression, et de l’autre la paix, la raison et la liberté, ce sont celles-ci qui gagnent du terrain. Voilà qui nous remplit, nous Tibétains, de l’espoir qu’un jour, nous serons à nouveau libres, nous aussi.

Que l’on me décerne, ici en Norvège, le prix Nobel, à moi, un simple moine venu du lointain Tibet, nous remplit aussi, nous Tibétains, d’un nouvel espoir. Cette distinction signifie que, bien que nous n’ayons pas attiré l’attention sur notre situation tragique en recourant à la violence, nous n’avons pourtant pas été oubliés. Elle signifie également que les valeurs qui sont les nôtres, notamment notre respect pour toute forme de vie et notre croyance dans la puissance de la vérité, sont aujourd’hui reconnues et encouragées. C’est de plus un hommage rendu à mon guide, le Mahatma Gandhi, dont l’exemple est une source d’inspiration pour tant d’hommes. Le Prix décerné cette année est aussi le signe que le sens d’une responsabilité universelle s’affirme. Je suis profondément touché par l’inquiétude que ressentent sincèrement tant de personnes dans cette partie du monde pour les souffrances du peuple tibétain. C’est là une source d’espoir, non seulement pour nous Tibétains, mais pour tous les opprimés. Comme vous le savez, le Tibet est sous occupation étrangère depuis quarante ans. Aujourd’hui, les troupes chinoises stationnées au Tibet comptent plus de 250 000 hommes. D’après certaines sources, ce chiffre serait deux fois plus élevé. Pendant tout ce temps, les Tibétains ont été privés de leurs droits les plus fondamentaux, le droit à la vie, le droit de se séparer, de s’exprimer, de pratiquer une religion pour ne citer que ceux-là. Plus d’un million de personnes, sur une population de 6 millions, sont mortes des conséquences directes de l’invasion et de l’occupation chinoise. Même avant la Révolution Culturelle, de nombreux monastères, des temples et des bâtiments historiques ont été détruits. Ce qui subsistait a été presque entièrement anéanti pendant la Révolution Culturelle. Je ne souhaite pas m’étendre sur ce sujet pour lequel il existe une documentation abondante. Ce qu’il est important de savoir cependant, c’est qu’en dépit de la latitude (limitée d’ailleurs) donnée depuis 1979 pour reconstruire certaines parties de certains monastères, en dépit d’autres actes symboliques de libéralisation, les droits fondamentaux du peuple tibétain sont toujours et systématiquement violés. Ces derniers mois, la situation, déjà déplorable, s’est aggravée.

Si le gouvernement et le peuple indiens n’avaient pas si généreusement accueilli et soutenu notre communauté en exil, si nous n’avions pas reçu l’aide d’organismes et de personnes privées de nombreuses régions du monde, il ne resterait plus guère aujourd’hui de notre nation que quelques fragments épars. Notre culture, notre religion et notre identité nationale auraient bel et bien disparu. Les choses étant ce qu’elles sont, nous avons reconstruit en terre d’exil des écoles et des monastères, et créé des institutions démocratiques pour servir notre peuple et sauvegarder les fondements de notre civilisation. Forts de cette expérience, nous sommes résolus à établir une démocratie pleine et entière dans un futur Tibet libre. Nous veillons à préserver notre identité et notre culture, tout en développant notre communauté en exil dans un esprit moderne. Nous apportons ainsi un espoir à des millions de nos compatriotes vivant au Tibet.

Ce qui nous inquiète le plus actuellement, c’est l’afflux massif de colons chinois au Tibet. Dès les premières décennies de l’occupation, un nombre considérable de Chinois avaient été transférés dans la partie est du pays, dans les provinces tibétaines d’Amdo (Qinghaï) et du Kham, dont le gros du territoire avait été annexé par les provinces chinoises avoisinantes. Or, depuis 1983, un nombre sans précédent de Chinois ont été encouragés par leur gouvernement à immigrer dans toutes les régions du Tibet, y compris le Tibet central et l’ouest du pays, que la République Populaire de Chine qualifie de "prétendue Région Autonome du Tibet". Les Tibétains sont ainsi rapidement ramenés à une minorité insignifiante dans leur propre pays. Cette évolution, qui menace la survie même de la nation tibétaine, ses traditions et son héritage spirituel, peut encore être arrêtée et renversée. Mais il faut faire vite, avant qu’il ne soit trop tard. Un nouveau cycle de manifestations, suivies de violentes répressions a commencé au Tibet en septembre 1987, et a abouti à l’imposition de la loi martiale dans la capitale, Lhassa, en mars 1989. Ces manifestations étaient pour une large part menées en réaction à cet énorme afflux d’immigrants chinois. Les informations qui parviennent à notre communauté en exil font état de marches et d’autres formes pacifiques de protestations qui se poursuivent à Lhassa et dans d’autres localités du Tibet, et cela en dépit des peines sévères et des traitements inhumains infligés aux Tibétains arrêtés pour avoir exprimé leurs griefs. Le nombre de Tibétains tués par les services de sécurité pendant les émeutes de mars, et ceux qui sont morts en détention par la suite, n’est pas connu ; il dépasserait 200. Des milliers de personnes ont été mises en garde à vue ou arrêtées et emprisonnées, la torture est pratiquée couramment.

Du fait que cette situation s’aggravait et pour éviter de nouvelles effusions de sang, j’ai proposé ce qu’il est convenu d’appeler le Plan de Paix en cinq points pour le rétablissement de la paix et des droits de l’homme au Tibet. J’en ai précisé les détails dans une allocution prononcée à Strasbourg en 1988. Je croîs qu’il fournit un cadre raisonnable et réaliste pour des négociations avec la République Populaire de Chine. Pourtant, jusqu’ici, les dirigeants chinois n’ont pas voulu y répondre de façon constructive. Or, la répression brutale du mouvement démocratique chinois en juin dernier me confirme dans mon opinion que tout règlement de la question tibétaine n’aura de sens que s’il est assorti de garanties internationales appropriées.

Le Plan de Paix en cinq points traite les principaux problèmes que j’ai exposés ici dans la première partie de mon allocution. Il prévoit :
- 1) la transformation de tout le Tibet, y compris les provinces d’Amdo et du Kham à l’est, en une zone d’Ahimsa (non-violence) ;
- 2) l’abandon par la Chine de sa politique de transfert de population ;
- 3) le respect des droits fondamentaux et des libertés démocratiques du peuple tibétain ;
- 4) la restauration et la protection de l’environnement au Tibet ; et
- 5) l’amorce de véritables négociations sur le futur statut du Tibet et sur les relations entre les peuples tibétains et chinois. Dans la déclaration que j’ai faite à Strasbourg, j’ai proposé que le Tibet devienne une entité politique démocratique pleinement autonome.

Je souhaite saisir cette occasion pour expliquer ce que l’on entend par zone d’Ahimsa ou par refuge de la paix, cette notion étant la clef de voûte du Plan en cinq points. Je suis convaincu qu’elle sera de la plus grande importance, non seulement pour le Tibet, maïs pour la paix et la stabilité en Asie. Mon rêve serait que le plateau tibétain devienne un refuge de liberté où les hommes pourraient vivre en paix et en harmonie avec la nature. Ce serait l’endroit où, du monde entier, l’on pourrait venir rechercher en soi-même la véritable signification de la paix, loin des tensions et des pressions qui s’exercent ailleurs. Le Tibet pourrait ainsi devenir un lieu de réflexion où l’on s’appliquerait à promouvoir la paix et à la renforcer.

Voici quels sont les éléments essentiels pour instaurer la zone d’Ahimsa proposée dans le Plan en cinq points :
- le plateau tibétain serait démilitarisé ;
- la fabrication, le stockage et les essais nucléaires y seraient interdits ;
- le plateau tibétain serait transformé en une biosphère, il deviendrait le plus grand parc naturel du monde. Des lois rigides seraient appliquées pour en protéger la faune et la flore. L’exploitation des ressources naturelles serait soigneusement réglementée afin de ne pas causer de dommages aux écosystèmes ; une politique de développement durable serait adoptée pour les régions habitées ;
- la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire, ou d’autres technologies qui entraînent des déchets dangereux seraient interdites ;
- la politique et la gestion des ressources naturelles consisteraient à promouvoir la paix et la protection de l’environnement. Les organisations qui auraient pour objectif de défendre la paix et de protéger la vie sous toutes ses formes seraient les bienvenues au Tibet ;
- l’établissement au Tibet d’organisations régionales et internationales pour la défense et la protection des droits de l’homme serait encouragée.

La situation du Tibet en altitude, sa superficie (qui est équivalente à celle de la Communauté Européenne), son histoire unique et son héritage de profonde spiritualité, le rendent idéalement apte à devenir ce sanctuaire de paix au coeur de l’Asie. De plus, ce nouveau rôle coïnciderait avec celui, historique, du Tibet comme nation bouddhiste pacifique et comme état tampon séparant les deux grandes puissances du continent asiatique, souvent en rivalité.

Afin de réduire les tensions actuelles en Asie, le Président de l’Union Soviétique, Monsieur Gorbatchev, a proposé la démilitarisation de la frontière sino-soviétique pour en faire une "frontière de la paix et du bon voisinage". Le gouvernement du Népal avait précédemment proposé que ce pays de l’Himalaya, en bordure du Népal, devienne une zone de paix, bien que sa démilitarisation n’ait pas été envisagée.

Pour assurer la paix et la stabilité en Asie, il est indispensable de créer des zones de paix pour séparer les grandes puissances du continent, qui sont des adversaires potentiels. La proposition du Président Gorbatchev, qui comportait également le retrait complet des troupes soviétiques de Mongolie, contribuerait à réduire les tensions et les risques d’affrontement entre l’Union Soviétique et la Chine. Il faudra aussi créer, c’est évident, une véritable zone de paix pour séparer les deux pays les plus peuplés du monde, l’Inde et la Chine.

L’établissement d’une zone d’Ahimsa au Tibet nécessiterait le retrait des troupes et le démantèlement des installations militaires chinoises. Ces mesures permettraient alors à l’Inde et au Népal de retirer à leur tour leurs troupes et installations militaires des régions himalayennes en bordure du Tibet. Des accords internationaux seraient nécessaires à cet effet. Tous les états d’Asie trouveraient leur intérêt à un tel arrangement, notamment l’Inde et la Chine, car leur sécurité en serait augmentée et le fardeau économique que représente le maintien d’armées importantes dans les régions reculées réduit

Le Tibet ne serait pas la première zone stratégique à être démilitarisée. Certaines parties de la péninsule du Sinaï, territoire égyptien qui sépare Israël de l’Egypte sont démilitarisées depuis quelque temps déjà. Bien entendu, le Costa Rica reste le meilleur exemple d’un pays entièrement démilitarisé.

Le Tibet ne serait pas non plus la première région à être transformée en réserve naturelle ou biosphère. De nombreuses réserves ont ainsi été créées partout dans le monde. Certaines régions hautement stratégiques ont été transformées en "parcs naturels pour la paix". Comme exemples, je mentionne le Parc de la Amistad, sur la frontière entre le Costa Rica et le Panama, et le projet "Si a la Paz" sur la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua.

Quand je me suis rendu au Costa Rica au début de 1989, j’ai eu l’occasion de constater qu’un pays peut se développer avec succès sans armée, et devenir une démocratie stable, engagée à maintenir la paix et à protéger la nature. Ceci me conforte dans ma conviction que ma façon de concevoir l’avenir du Tibet n’est pas seulement un rêve, mais bien un projet réalisable.

Permettez-moi de terminer sur une note personnelle de remerciement qui s’adresse à vous tous qui êtes là, ainsi qu’à nos amis qui n’ont pas pu nous rejoindre aujourd’hui. L’inquiétude que vous avez manifestée devant le sort tragique des Tibétains et le soutien que vous nous avez apporté nous ont tous profondément touchés, et continuent à nous donner le courage nécessaire dans la lutte que nous menons pour la liberté et la justice, non pas avec des fusils, mais avec des armes puissantes que sont la vérité et la détermination. Je sais que je parle au nom de tout le peuple tibétain lorsque je vous remercie, et vous demande de ne pas oublier le Tibet qui vit une période sombre de son histoire.

Nous aussi espérons pouvoir apporter notre pierre au développement d’un monde plus pacifique, plus humain et plus beau. Le futur Tibet libre cherchera à aider ceux qui en auront besoin où qu’ils soient, à protéger la nature, et à promouvoir la paix. Je crois que notre capacité toute tibétaine de combiner les qualités spirituelles avec une attitude réaliste et pragmatique nous permettra d’apporter une contribution originale, à notre façon, si modeste soit-elle. C’est l’espoir qui est le mien ; c’est ce pourquoi je prie.

Pour conclure, j’aimerais faire ici avec vous, une courte prière. Elle est pour moi une source d’inspiration et de détermination.

Aussi longtemps que persistera l’espace,
Aussi longtemps que subsisteront les êtres vivants,
Que je puisse moi aussi demeurer
Pour dissiper la souffrance du monde.

Merci

Oslo, le 11 décembre 1989.


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