Tenzin Chokyi

Aujourd’hui réfugiée en Inde, Tenzin Chokyi rapporte de la prison de Gutsa un témoignage qu’elle souhaite faire connaître en France.
"Nous souffrions énormément... inhumainement. Il y avait trop de prisonniers par cellule et nous n’avions pratiquement pas d’eau. Nous ne pouvions sortir de nos cellules que 15 minutes par jour, sans pour autant pouvoir rester au grand air et au soleil".
"C’est en 1990 que ce fut le plus dur, car les gardiens confisquaient même toute la nourriture que les prisonniers recevaient de leurs visiteurs. Nous avons été soumis à des prises de sang forcées sous prétexte d’analyses biologiques... Les prisonniers chinois n’ont jamais eu à donner de leur sang !
La nourriture était insuffisante, en état de décomposition, et pleine de parasites... On nous battait tous les jours sans aucune raison valable..."

Voici son histoire :

Tenzin Chokyi est née en 1970 à Shushur au Tibet dans une famille de fermiers comprenant ses parents, elle-même, deux frères et une soeur. Elle a été scolarisée pendant 2 ans, puis elle a aidé ses parents dans leurs travaux agricoles. En 1988, elle est devenue nonne au couvent de Michungri près de Lhassa.

Après la manifestation pacifique de mars 1989, les Chinois posèrent des affiches d’avertissement et de menaces contre les activités indépendantistes de certains Tibétains. Tenzin Chokyi décida d’arracher ces affiches des murs de son village, mais les autorités eurent vent de son geste et l’arrêtèrent fin mars 1989.
Fort heureusement, un de ses oncles fonctionnaire intercèda auprès des Chinois et elle s’en tira avec un long sermon et la promesse de ne pas récidiver. Elle fut néanmoins placée sous surveillance pendant 3 mois.

Le 14 octobre 1989, elle organisa avec 5 nonnes de Michungri une manifestation pacifique à Lhassa. Elles furent toutes arrêtées par la police chinoise, interrogées brutalement pendant plusieurs heures puis envoyées au centre de détention de Gutsa.

"Les Chinois prétendent que la liberté religieuse et les droits de l’homme sont respectés au Tibet, mais c’est faux ! La police confisque injustement nos papiers d’identité durant des contrôles et maltraite sans raison les religieux lors de ces contrôles d’identité" rapporte Tenzin Chokyi.

Se sentant très concernée par la situation de son peuple, elle a souhaité contribuer activement au respect des Droits de l’Homme au Tibet. Elle savait qu’elle se ferait inmanquablement arrêter, qu’elle verrait sa vie brisée, mais sa ferveur pour son peuple ne lui laissa pas le temps d’avoir peur.
Elle fut condamnée après un semblant de jugement à 3 ans de prison pour opposition à la nation.
Elle resta enfermée à Gutsa pendant 2 ans et 6 mois et purgea sa peine à la prison de Trisom, dont la construction venait de s’achever.
Elle fut libérée de Trisom le 14 octobre 1992 et retourna dans sa famille.

Le couvent de Michungri lui demanda alors de revenir et elle accepta. Au couvent elle reprit ses activités en faveur de l’indépendance alors qu’elle venait tout juste d’être libérée de prison !

Elle gardait un stock de drapeaux nationaux tibétains et des copies de la charte du futur gouvernement tibétain (Tibet libéré) qu’elle distribuait. Elle quitta alors Michungri pour rejoindre un de ses oncles à Lhassa, mais la police l’y attendait après avoir enquêté sur ses distributions de drapeaux et de charte. Elle se rendit alors chez sa famille dans l’espoir d’y trouver un refuge et d’échapper à la police, mais là aussi la police l’attendait...

Elle fut interrogée et grâce à de savants mensonges échappa à une nouvelle arrestation. Elle fut néanmoins brutalement menacée et enfermée à la prison locale de Shushur pendant une semaine. Libérée, elle fut mise sous surveillance à domicile.

Il ne restait plus qu’une seule solution à Tenzin Chokyi : s’enfuir en exil, ce qu’elle réalisa fin 1993.
Elle arriva à Dharamsala le 3 janvier 1994 et séjourna jusqu’en août 1998 au couvent de Dolmaling. Elle souffrait des séquelles de tortures subies à Gutsa et devait se rendre très souvent à Dharamsala ville pour se faire soigner. Selon l’avis des médecins, elle aurait dû se faire opérer, mais allant à l’encontre des médecins et des opinions de son couvent, elle choisit de quitter Dolmaling. Elle habita donc à Mcleod Ganj et y reçut le soutien amical d’un ami moine, Thinley Choegyal. Ils tombèrent amoureux l’un de l’autre et décidèrent de se marier. Thinley Choegyal travaille bénévolement pour l’association de prisonniers GuChuSum qui en compensation de son aide, le loge et le nourrit.

Tenzin Chokyi n’a pour le moment aucune source de revenus, hormis une petite allocation du Ministère tibétain de la Sécurité, mais ce soutien n’est que temporaire et s’arrêtera en octobre 1999. Tenzin Chokyi est enceinte et la naissance de son bébé est prévu pour fin octobre 1999.

La CAPT (Caisse d’Aide aux Prisonniers Tibétains, créée par le CSPT) de Dharamsala a accepté de soutenir Tenzin Chokyi par un parrainage pour une durée d’un an pour commencer. Son cas sera reconsidéré après cette période et pourra être reconduit pour deux années supplémentaires si elle remplit les conditions du règlement de l’association pour l’attribution des aides.

Entretien réalisé le 1er septembre 1999 par le correspondant Tibet Info & CSPT à Dharamsala