Opinion

Si j’étais Tibétain...

mercredi 16 mars 2011 par Jean-Paul Ribes

Dans les années 70, l’anthropologue américain Gregory Bateson décrivait ce qu’il appelait le "double bind", le double lien, [1] à travers cette formule : "je t’ordonne d’être libre".

Nous pourrions, en cherchant dans nos figures de style appeler cela un oxymoron. [2]

Aujourd’hui le peuple et le Parlement tibétain sont un peu dans cette relation avec le Dalaï Lama, à laquelle on pourrait ajouter une pincée de "syndrome de Tanguy", du nom de cet adolescent attardé qui refuse obstinément de quitter le domicile parental. [3]

Plus sérieusement, on comprend parfaitement pourquoi, dans le traumatisme absolu de la perte de leur patrie et de leur identité culturelle, les Tibétains, exilés en particulier, refusent de se séparer du symbole le plus fort de "ce qui reste d’eux-mêmes" pour rependre le titre d’un documentaire récent. [4]

Leur lien avec le Dalaï Lama, déjà décrit comme unique par les premiers Occidentaux qui rencontrèrent les habitants du Haut-Plateau, s’est trouvé singulièrement renforcé par les épreuves extrêmes imposées par la Chine, mais aussi par l’exceptionnelle personnalité du Grand XIV°.

Considéré comme une des plus éminentes autorités spirituelles et morales au monde, attachant par toutes les facettes de son être, littéralement charismatique, il peut à juste titre être regardé comme un "trésor", l’un des noms que les Tibétains utilisent pour le désigner. [5]

Comment l’entendre alors, lorsqu’il explique : "Si nous devons rester en exil pendant plusieurs décennies, le temps viendra inévitablement quand je ne serai plus en mesure de guider la nation. Par conséquent, il est nécessaire que nous établissions un système solide de gouvernance alors que je reste capable et en bonne santé, afin que l’administration tibétaine en exil puisse devenir autonome plutôt que de dépendre du Dalaï Lama" ?

Eh bien à la fois comme un politique avisé, qui sait que le moment est venu d’entamer une nouvelle époque, de nouvelles structures, correspondant à la manière de vivre en ce monde au XXI° siècle, comme un bon stratège capable de dénouer pacifiquement les pièges d’un adversaire puissant, et aussi comme un être affectueux, conscient de son âge et de la nécessité de pérenniser un message, porté par une culture séculaire.

Ce moment de rupture historique doit être regardé en face, sans émotions excessives ni afféteries.

Si j’étais Tibétain, je crois que j’en ressentirais au contraire une grande fierté, tout en reconnaissant parfaitement le coût et la somme de responsabilités à venir.

Et puis le Compatissant ne nous laisse pas sans vivres.
Ce serait lui faire insulte que de prétendre que nous sommes incapables de mettre en pratique ces enseignements qu’il a prodigués sans compter. On appelle cela je crois la "fierté vajra". [6]

Et quel peuple compte plus de maîtres spirituels que le peuple tibétain ?
Jeunes ou âgés, ils sont là par centaines, disponibles.

Enfin ne dit-on pas qu’on juge le maître à la qualité de ses disciples : c’est le moment de donner la mesure de ce que nous lui devons.

Jean-Paul Ribes

Qui suis-je pour jouer ainsi les donneurs de leçon avec tant d’arrogance, et aller jusqu’à m’immiscer dans cette intime relation entre le Dalaï Lama et ses compatriotes ?
Simplement un homme déjà âgé, qui doit au maître et à son peuple le grand tournant de sa vie et l’espoir d’en voir un jour le terme avec sérénité.


NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du texte d’origine.

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[1] parfois traduit "double contrainte"

[2] Un oxymoron ou oxymore est une figure de style qui réunit deux mots en apparence contradictoires.

[3] "Tanguy" est une comédie française réalisé en 2001 par Étienne Chatiliez.

[4] "Ce qu’il reste de nous" est un film documentaire sur le Tibet réalisé par Hugo Latulippe et François Prévost en 2004.

[5] Les Tibétains ont coutume d’appeler le Dalaï Lama "Norbu Rinpoche", c’est-à-dire le "Joyau très précieux"

[6] La "fierté" vajra", ou ce que F. Midal appelait une "attitude de pleine confiance"


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