Le combat non-violent du peuple tibétain

mardi 1er novembre 2011 par Rédaction

Pour bien des Occidentaux, le Tibet évoque un pays lointain, presque mythique. Surnommé "le Toit du Monde", sa situation géographique l’a longtemps tenu à l’écart des affaires internationales. Mais l’invasion de 1950, puis l’occupation du pays par la Chine populaire, ont enclenché le processus d’assimilation forcée de cette ancienne nation. L’ONU a adopté trois résolutions sur la question tibétaine (1959, 1961 et 1965 [1]), dénonçant "la privation des droits fondamentaux et des libertés fondamentales du peuple tibétain", et notamment, de son "droit à l’autodétermination".

Les manifestations de mars 2008, suivies par les répressions des autorités chinoises, ont mis le Tibet à la Une de l’actualité. Aujourd’hui, la situation semble empirer et les tensions sont montées d’un cran ces derniers mois avec l’immolation par le feu de 11 Tibétains (dont 1 nonne) dans la région orientale du Tibet [2]. Nous avons chacun le droit de nous interroger sur le devenir de ce peuple qui, sous la direction de son leader charismatique le Dalaï Lama, lutte avec acharnement par la non-violence afin de retrouver sa dignité et sa liberté.

Une question revient souvent : la non-violence est-elle efficace pour résoudre le problème tibétain ? Quels sont les résultats d’une politique de non-violence et son influence sur la diplomatie et les relations internationales avec, comme exemple, la politique du Dalaï Lama ?

Dès son arrivée en Inde en avril 1959, le Dalaï Lama a reconstitué une administration qui fonctionne selon les principes modernes de la démocratie. En 1960, une Charte constitutionnelle fut promulguée par le Parlement en exil dont la dimension démocratique a été élargie en 1991, puis en 2001. Conformément à son message du 10 mars dernier [3], le Dalaï Lama a effectivement transféré tous ses pouvoirs politiques et administratifs aux représentants élus [4]. La nouvelle Constitution est entrée en vigueur depuis août 2011 avec la prise de fonctions de M. Lobsang Sangay, Premier ministre élu au suffrage direct [5]. L’administration prend en charge les réfugiés et concentre ses efforts sur l’éducation et la sauvegarde de l’identité tibétaine. Porte-parole dans le monde libre, l’administration œuvre inlassablement pour recouvrer la liberté de son peuple et ce par la voie non-violente.

Tout particulièrement, dès la réouverture du Tibet par Deng Xiaoping en 1979, l’administration en exil a cherché à résoudre le problème tibétain par des négociations directes avec Pékin [6]. Le peuple tibétain n’accepte pas le statut actuel du Tibet sous l’autorité de la République populaire de Chine. En même temps, il ne recherche pas l’indépendance, et encore moins la séparation d’avec la Chine. Il propose une solution intermédiaire entre ces deux alternatives pour créer les conditions d’une réelle autonomie pour tous les Tibétains vivant dans les trois provinces du Tibet historique et ce, dans le strict respect de la Constitution et de la Loi sur l’autonomie ethnique régionale de la Chine. Cet objectif porte le nom de politique de la "Voie médiane" [7].

Convaincu de l’interdépendance du monde, le Dalaï Lama situe le combat de son peuple dans la perspective de la défense des valeurs humaines. Philosophe et homme politique avisé, il propose la voie de la réconciliation pour que règne une vraie paix. Elle permettrait de relever les défis du monde de demain qui concernent tous les humains, quelles que soient leurs nationalités et croyances.

Pour le peuple tibétain, son problème n’a rien à voir avec des débats idéologiques obscurs, ni avec une lutte pour le pouvoir. Contrairement à ce que disent les dirigeants chinois, le Dalaï Lama n’a pas l’ambition douteuse de restaurer un régime dépassé et ancien. La question du Tibet ne se résume pas à celle de la personne du Dalaï Lama : il s’agit du sort de six millions de Tibétains dont les droits ont été confisqués par la force.

Le combat du peuple tibétain est celui de la vérité contre le mensonge, de la non-violence contre la violence, de la démocratie contre un régime autoritaire, de la justice contre l’injustice et de la liberté contre la privation de liberté.

Malgré l’immense légitimité conférée par l’histoire et le destin de son peuple, le Dalaï Lama a déclaré publiquement qu’il n’assumerait aucune position officielle dans un Tibet libre afin de faciliter l’instauration et le développement d’une démocratie saine. Le leader tibétain appelle de ses vœux pour un Tibet libre, moderne, laïque, démocratique et respectueux de la Constitution de la Chine.

Le bien-fondé de la position du Dalaï Lama est reconnu internationalement et lui a valu le Prix Nobel de la Paix en 1989. [8]

Au travers du destin tragique du peuple tibétain, la politique de la Voie Médiane que prône le Dalaï Lama peut servir de modèle original pour régler d’autres problèmes dans le monde. Pour le peuple tibétain, la paix est non seulement un devoir moral et éthique, mais aussi une réponse aux grands problèmes du monde. La paix doit d’abord jaillir de l’intérieur de soi-même, comme le dit le Dalaï Lama, "le désarmement extérieur passe d’abord par le désarmement intérieur". Il est certes important qu’il y ait des forces d’auto-défense, mais à un moment donné, si les hommes ne savent pas raisonner sur le plan moral et éthique, et continuent à recourir à la force ou à s’investir sur le plan militaire, il n’y aura plus de limites et la paix à laquelle nous aspirons tant ne sera jamais établie de façon durable.

Je dirais même plus, la recherche de la paix doit se baser sur une motivation désintéressée. Peut-être que cette idée paraîtra pour beaucoup d’entre vous utopique et irréaliste, cependant les Tibétains en sont convaincus, car il leur semble que pour le moment, un peu partout dans le monde et surtout dans les régions de conflits, la paix semble un objet de marchandage. En effet, on constate que souvent, de manière très intéressée, une communauté ou un gouvernement essaie d’établir ou de régler la question de la paix en appliquant le principe du "donnant-donnant". Ce principe est certes pragmatique et paraît au premier abord équitable et juste, mais en réalité, il ne l’est pas car on doit respecter les relations intimes qu’il doit y avoir entre le désintéressement et la paix.

Le peuple tibétain est résolu à mettre en application la pratique de la non-violence dans ses actions, y compris dans son combat difficile pour régler le problème avec la Chine car le problème du Tibet est essentiellement celui de la violence. Violence d’un État contre un peuple pacifique, mensonges de l’état contre la vérité d’un petit nombre. C’est une question de force brute contre une philosophie, une morale et une éthique. Il devient donc encore plus pertinent dans ce combat de s’appuyer sur la pratique de la non-violence car les Tibétains ne peuvent pas répondre à la violence par la violence ; pour eux, c’est une question de principe, mais aussi de pragmatisme.

Je tiens également à préciser que le Dalaï Lama applique la Paix et la non-violence dans ses actions quotidiennes. Ce n’est pas quelque chose de simple ou de facile comme on pourrait le croire, car la résistance pacifique comme celle menée par Mahatma Gandhi, est essentiellement basée sur le principe de vérité et d’honnêteté. D’ailleurs, Gandhi qualifie sa lutte non-violente par ce mot hindi "satyagraha", satya signifie la vérité, graha, y tenir. Ceci dit, le Dalaï Lama ne pourra pas varier ses propos et sa politique en fonction des uns et des autres ou de tel ou tel événement. Tel qu’il est, il doit mener son combat résolument et avec une absolue honnêteté.

Par contre, celui qui choisit la lutte armée ou la méthode violente pourra, à tout moment, et selon ses avantages, changer sa stratégie, sa politique ou son action. Je tiens beaucoup à insister sur cette question des difficultés à pratiquer la résistance active et non-violente car une fois de plus, elle est inséparable du principe de demeurer honnête et juste en tout temps. Le peuple tibétain apprend petit à petit, la pratique de non-violence et la démocratie car elles demandent beaucoup de réflexion, de sacrifice et ne sont jamais acquises d’avance.

La proposition pour régler pacifiquement le problème par la voie du dialogue qui a été initiée depuis 1987, et en réalité dès 1950 par le Dalaï Lama, est fondée sur l’approche de la "Voie Médiane" qui n’est autre que celle de la non-violence, la paix d’impartialité, de la modération et du respect de l’autre.

Pour conclure, je dirais, en tant que Tibétain, que notre peuple à bien sûr besoin du soutien de la communauté internationale car, seul (6 millions de personnes), il ne pourra aujourd’hui faire face à la Chine de 1 milliard 300 millions d’habitants et à sa puissance militaire et industrielle – un pays sous contrôle d’un régime autoritaire et pseudo-communiste. S’il réussit à régler son problème par la voie du dialogue, cela pourrait devenir un exemple très puissant dans le monde. On pourra alors dire à nos enfants et au monde entier qu’on peut réellement régler un grand problème par la méthode de la non-violence. Cela pourrait devenir une source de grand espoir pour la communauté internationale car si nous analysons de près la plupart des grands problèmes de ce monde (épidémie, eau potable, disparités des richesses, réchauffement climatique, etc.), nous constatons qu’ils sont liés à l’absence de ce genre de pratique.

La chute du Mur de Berlin hier, la révolution arabe aujourd’hui, ces actions menées pacifiquement légitiment la politique des dirigeants tibétains. En effet, cela renforce la conviction du peuple tibétain pour qui la voie de non-violence reste toujours crédible et viable même contre une grande puissance comme la Chine.

Très souvent on entend dire : oui mais la Chine est une grande puissance et il faut compter sur son immense marché. Et dans tout cela, la question du peuple tibétain et les Droits de l’Homme pèse très peu ou pas du tout. Mais détrompez-vous : si la Chine achète des Airbus et non des appareils Tupolev ou Ilyouchine, c’est tout simplement qu’elle en a bien besoin et que vos produits ou encore services après-vente sont irremplaçables. Il serait naïf de croire que la Chine commerce avec l’Occident pour lui faire plaisir ! Il est important de faire peser sur la Chine une opinion véritable autour des principes sur lesquels votre nation est fondée. Il n’est certes pas question ici d’insulter la Chine ni d’inciter des actions subversives mais en disant clairement et de manière appuyée ce type d’opinions sur la question essentielle des droits politiques, civiques et des libertés, le monde libre pourrait contribuer beaucoup à faire naître un Etat de droit en Chine et puis, faire partager à 1,3 milliards d’habitants de ce pays les bienfaits des progrès, de la démocratie et des libertés. Tout particulièrement, la démocratie occidentale en agissant ainsi saura bien démontrer au monde une cohérence dans ses actions nationales et internationales.

Il serait souhaitable de connaître enfin une Chine développée et stable dans un monde globalisé, et une Chine pleinement intégrée dans la communauté internationale non seulement avec ses droits mais également ses devoirs et notamment envers les différentes ethnies qui la compose.


Document préparé par Wangpo Bashi, Joint Secretary, Administration tibétaine en exil, et diffusé le 26 octobre 2011 dans le cadre des cours sur "l’INTELLIGENCE ET RENSEIGNEMENT ÉCONOMIQUES : UNE APPROCHE AU SERVICE DE L’ENTREPRISE", IESEG School of Management, Université Catholique de Lille.


NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du document officiel. Le document nous a été transmis par l’auteur, que nous reproduisons avec son aimable autorisation.

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