Une page d’Histoire...

Le génocide tibétain évoqué pour la première fois en séance plénière du Parlement français

mardi 7 novembre 2000 par Webmestre

Pour la première fois en France, le génocide qui, sur le Toit du Monde, a déjà provoqué directement ou indirectement depuis 1959 la mort de 1.200.000 Tibétains, a été évoqué publiquement au cours d’un débat parlementaire. Ainsi l’ont voulu les sénateurs Claude Huriet et Louis de Broissia, présidents du Groupe d’information sur le Tibet à la Haute Assemblée.

Récit.

Deux ans et demi après son adoption par l’Assemblée nationale, le Sénat s’est enfin saisi de la proposition de loi tendant à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Il a fallu recourir à la procédure exceptionnelle de la discussion immédiate pour que, le 7 novembre dernier, à l’épuisement de l’ordre du jour prioritaire, la Haute Assemblée puisse discuter d’un texte dont l’article unique disposait que "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Sans entrer dans les polémiques soulevées à propos des conséquences que l’adoption d’un tel texte ferait peser sur la politique étrangère de la France, ni dans le débat juridique sur la possibilité qu’aurait ou non la loi de qualifier l’Histoire, les sénateurs Claude Huriet et Louis de Broissia ont estimé qu’il serait utile d’étendre la reconnaissance du Parlement à d’autres génocides. C’est la raison pour laquelle, dans le but de compléter l’article unique, ils déposèrent un amendement originellement rédigé comme suit : "... ainsi que les génocides intervenus depuis, tels que ceux commis à l’encontre des Juifs d’Europe, des Tsiganes, des Tibétains, des Cambodgiens et des Tutsis". Il fallait que la reconnaissance d’autres génocides tels que la Shoah, les génocides survenus au Cambodge et au Rwanda, ou celui toujours en cours au Tibet, permette une prise de conscience collective susceptible, à l’aube du XXIe siècle, de prévenir la résurgence d’autres tragédies. Cette liste ne prétendait ni à l’exhaustivité, ni à dénaturer la reconnaissance du génocide arménien qui, au contraire, se voyait investi d’une charge symbolique encore plus grande, celle d’être reconnu comme le tout premier d’un siècle qualifié de "siècle des génocides".
Il est, à ce titre, éclairant de se reporter aux interventions des orateurs, défendant leur amendement au cours d’un débat particulièrement grave, intense et difficile.
Louis de Broissia : "Mes chers collègues, le sujet législatif qui nous rassemble nombreux cette nuit n’est pas habituel ; il n’est pas léger ; il n’est pas sans conséquences ni pour notre nation, ni pour la façon dont elle est perçue dans le monde. Ce sujet mérite donc d’être traité avec une gravité inhabituelle, exceptionnelle, à la mesure d’un sujet terrible qui nous mobilise puisque le Sénat est appelé à reconnaître la réalité du génocide arménien perpétré en 1915. Je voterai ce texte parce qu’il est fondé sur une réalité incontestable et parce que nous avons des égards légitimes vis-à-vis de ce peuple fier, noble, digne du plus grand respect dans le concert des nations. Toutefois, je juge ce texte désespérément et tragiquement insuffisant. [...] Lorsque je consulte sur Internet l’affreux annuaire des génocides, je lis qu’un génocide a frappé l’Arménie - je ne le conteste pas -, mais aussi le malheureux Kurdistan - cela continue d’ailleurs -, les populations du Tibet toutes entières - cela continue également -, le Cambodge - nous en sortons tout juste -, les Tutsis du Rwanda - cela continue aussi -. Y a-t-il un doute quelconque sur chacun de ces génocides ? Il n’y en a pas ! [...] Peut-on contourner la comptabilité atroce des génocides dont ont été victimes 1,5 million d’Arméniens, 6 millions de Juifs d’Europe, 800 000 Tsiganes, 1,2 million de Tibétains, 1,7 million de Khmers et 1,5 million de Tutsis ? Comment pourrait-on, mes chers collègues, en retenant ce soir légitimement le génocide arménien, dire au peuple tibétain, au peuple kurde, au peuple juif, au peuple tzigane et au peuple tutsi que nous n’avons pas une pensée pour eux ? C’est la raison d’être de notre amendement, que nous avons déposé en notre âme et conscience au nom de tous ces peuples qui, aujourd’hui, souffrent encore.
Voulez-vous attendre, mes chers collègues, qu’ils aient définitivement disparu de la surface du globe pour vous prononcer ? Voulez-vous que ce soit leurs enfants, les enfants de leurs enfants qui viennent, au XXIIe siècle, réclamer aux portes de nos palais nationaux ? [...] Que dirions-nous alors, demain matin, aux jeunes Tibétains, aux jeunes Tutsis et aux jeunes Kurdes : revenez-nous voir dans cinquante ans, dans quatre-vingt cinq ans ? Alors nous réclameront-ils un peu plus tard, comme l’écrivait Victor Hugo, de la poudre et des balles ? [...]
".
Claude Huriet : "[...] Pourquoi la France devrait-elle reconnaître le seul génocide arménien ? Une telle démarche signifie-t-elle que les auteurs de la proposition de loi établissent des degrés dans l’horreur d’un génocide ? Pour notre part, au plus profond de notre conscience, nous ne pouvons accepter de clouer au pilori un pays [la Turquie] qui, certes doit assumer son passé, en exonérant de leurs responsabilités - non moins lourdes - d’autres pays dont les crimes sont aussi abominables. Trop nombreux ont été les génocides qui se sont succédés durant le siècle écoulé, faisant des millions de victimes que la mémoire ne doit pas oublier. [...] Mes chers collègues, si la France, à travers le vote du Parlement, reconnaissait le seul génocide arménien, elle se singulariserait et beaucoup s’interrogeraient sur les raisons cachées d’une telle attitude "sélective". Si, au contraire, la France, patrie des droits de l’homme, reconnaissait les tragédies intervenues au cours du XXe siècle, elle s’honorerait et la prise de conscience collective à laquelle elle aurait ainsi contribué serait susceptible d’en prévenir la résurgence".
A un orateur ayant, par la suite, appelé à ne pas mélanger tant d’événements aussi dramatiques - justifiables d’un traitement à part - afin de se consacrer au peuple arménien et à lui seul "parce qu’il le mérite", le sénateur Claude Huriet répondit : "[...] Votre argument selon lequel on pourrait traiter ultérieurement des autres génocides n’est pas valable. Vous avez dit - et cette formulation m’a fait un peu de peine - qu’il fallait nous concentrer aujourd’hui sur le drame subi voilà quatre-vingt cinq ans par le peuple arménien parce que celui-ci le mérite. Permettez-moi de vous dire, mon cher collègue, que les autres peuples qui ont été victimes au cours des dernières années de génocides aussi affreux méritent aussi notre attention et notre respect".
Le Gouvernement s’en étant remis à "la sagesse du Sénat", l’amendement, malgré quelques ralliements, fut néanmoins rejeté. Pour sa part, la reconnaissance du génocide arménien de 1915 était adoptée à 5 h 20’ du matin, par 171 voix contre 58, au terme d’un débat de trois heures et demi, passionné et émouvant. En dépit d’un sort défavorable, l’amendement des sénateurs Huriet et de Broissia a permis que, pour la première fois, le génocide encore à l’œuvre aujourd’hui au Tibet soit évoqué dans un hémicycle du Parlement français. N’était-ce pas, somme toute, un premier gage donné à la prise de conscience politique de cette tragédie lointaine et occultée depuis si longtemps ?

Olivier Masseret
Source : Journal Officiel (Débats parlementaires - Sénat), séance du 7 novembre 2000.


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