Mémorandum sur une autonomie réelle pour le peuple tibétain

lundi 17 août 2009 par Rédaction , Bureau du Tibet, Paris

I - Introduction

Depuis la reprise des contacts directs avec le Gouvernement central de la République populaire de Chine (RPC) en 2002, des discussions approfondies ont eu lieu entre les émissaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama et les représentants du Gouvernement central. Lors de ces discussions, nous avons clairement mis en avant les aspirations des Tibétains. Le cœur de l’approche de la Voie médiane est l’obtention d’une véritable autonomie pour le peuple tibétain dans le cadre de la Constitution de la RPC. Ceci relève de la recherche d’un bénéfice mutuel et s’appuie sur l’intérêt à long terme des peuples tibétain et chinois. Nous restons fermement engagés à ne pas réclamer la séparation ou l’indépendance. Nous voulons trouver une solution au problème tibétain à travers une véritable autonomie, ce qui est compatible avec le principe d’autonomie prévu par la Constitution de la RPC [1], [2]. La protection et le développement de l’identité tibétaine, unique par bien des aspects, servent à la fois l’intérêt de l’humanité en général et celui des peuples tibétain et chinois en particulier.

Lors du 7ème cycle de discussions à Pékin les 1er et 2 juillet 2008, le Vice-président de la Conférence consultative politique du peuple chinois et le Ministre du Département central du Travail du Front uni, M. Du Qinglin, a explicitement appelé Sa Sainteté à formuler des suggestions pour la stabilité et le développement du Tibet. Le Vice-ministre exécutif, M. Zhu Weiqun, a dit en outre que les autorités chinoises aimeraient entendre nos points de vue sur le degré ou la forme de l’autonomie que nous recherchons, ainsi que sur tous les aspects de l’autonomie régionale dans le cadre de la Constitution de la RPC.

Par conséquent, ce mémorandum expose notre position sur la question d’une autonomie réelle et sur la manière dont les besoins spécifiques de la nationalité tibétaine, en matière d’autonomie et de prise en charge par elle-même, peuvent être satisfaits par l’application des principes de l’autonomie, tels qu’ils ressortent de notre compréhension de la Constitution de la RPC. Sur cette base, Sa Sainteté le Dalaï Lama est convaincu que les aspirations de la nationalité tibétaine peuvent être satisfaits à travers une véritable autonomie à l’intérieur de la RPC.

La RPC est un Etat composé de plusieurs nationalités et, comme dans d’autres régions du monde, cherche à résoudre la question des nationalités via l’autonomie et l’auto-gouvernement des nationalités minoritaires. La Constitution de la RPC expose les principes fondamentaux touchant à l’autonomie et au gouvernement des nationalités minoritaires par elles-mêmes, dont les objectifs sont compatibles avec les besoins et les aspirations des Tibétains.

L’autonomie régionale nationale vise à s’opposer à l’oppression et à la séparation des nationalités en rejetant à la fois le chauvinisme han et le nationalisme local. Elle est censée assurer la protection de la culture et de l’identité des nationalités minoritaires en leur donnant le pouvoir de devenir maîtres de leurs propres affaires.

Dans une très large mesure, les besoins des Tibétains peuvent être satisfaits dans le cadre des principes constitutionnels concernant l’autonomie tels que nous les comprenons. Sur plusieurs points, la Constitution accorde des pouvoirs discrétionnaires importants aux organes de l’Etat dans la prise de décision et la gestion du système d’autonomie. Ces pouvoirs discrétionnaires peuvent être exercés pour faciliter une véritable autonomie des Tibétains de manière à répondre à la singularité de leur situation. En mettant en œuvre ces principes, il pourrait être nécessaire par conséquent de modifier ou de reconsidérer la législation concernant l’autonomie afin de répondre aux besoins et caractéristiques spécifiques de la nationalité tibétaine. Avec de la bonne volonté des deux côtés, les problèmes qui perdurent peuvent être résolus dans le cadre des principes constitutionnels concernant l’autonomie. De cette manière, l’unité et la stabilité nationales et les relations harmonieuses entre les Tibétains et les autres nationalités seront établies.

II - Le respect de l’intégrité de la nationalité tibétaine

Tous les Tibétains appartiennent à une seule nationalité minoritaire, quel que soit le découpage administratif actuel. L’intégrité de la nationalité tibétaine doit être respectée. C’est l’esprit, l’intention et le principe qui sous-tendent le concept constitutionnel d’autonomie régionale nationale autant que celui d’égalité des nationalités.

Il n’est pas contesté que les Tibétains partagent la même langue, la même culture, la même tradition spirituelle, des valeurs et des coutumes communes, qu’ils appartiennent au même groupe ethnique et qu’ils ont un fort sentiment d’identité. Les Tibétains partagent une histoire commune et, malgré les périodes de division politique ou administrative, ils sont restés toujours unis par leur religion, leur culture, leur langue, leur mode de vie et la géographie unique des hauts plateaux.

La population tibétaine se répartit sur une région géographiquement continue du plateau tibétain, qu’ils habitent depuis des milliers d’années et dont ils sont les indigènes. En ce qui concerne les principes constitutionnels de l’autonomie régionale nationale, les Tibétains de la RPC vivent en réalité comme une seule nationalité sur toute l’étendue du plateau tibétain.

Sur la base des raisons ci-dessus, la RPC a reconnu la nationalité tibétaine comme l’une des 55 nationalités minoritaires. [3]

III - Les aspirations tibétaines

Les Tibétains ont une histoire, une culture et une spiritualité riches et spécifiques qui constituent un élément de grande valeur du patrimoine de l’humanité. Non seulement les Tibétains souhaitent préserver leur propre patrimoine, qu’ils chérissent, mais ils souhaitent également développer plus avant leur culture, leur vie spirituelle et leur connaissance dans des voies qui sont particulièrement adaptées aux besoins et aux conditions de l’humanité au 21ème siècle.

En tant que composante de l’Etat multinational de la RPC, les Tibétains peuvent grandement profiter des développements scientifiques et économiques rapides que vit le pays. Tout en voulant participer activement et contribuer à ce développement, nous souhaitons nous assurer que cela se fasse sans que le peuple tibétain perde son identité, sa culture et ses valeurs communes, et sans mettre en danger l’environnement fragile et spécifique du plateau tibétain, auquel sont intimement liés les Tibétains.

La singularité de la situation tibétaine a toujours été reconnue dans la RPC et a été reflétée à travers l’Accord en 17 points et les déclarations et politiques mises en œuvre par les dirigeants successifs de la RPC depuis lors. Elle devrait rester la base pour définir la portée et la structure de l’autonomie spécifique qui doit être exercée par la nationalité tibétaine à l’intérieur de la RPC. La Constitution renvoie à un principe fondamental de souplesse afin de s’adapter aux situations particulières, y compris en ce qui concerne les besoins et caractéristiques spécifiques des nationalités minoritaires.

L’engagement de Sa Sainteté à rechercher une solution pour le peuple tibétain à l’intérieur de la RPC est clair et sans ambiguïté. Cette position est en conformité et en cohérence avec la déclaration du grand dirigeant Deng Xiaoping [4] dans laquelle il a insisté sur le fait qu’à part la question de l’indépendance tout pouvait être résolu à travers le dialogue. Nous nous sommes donc engagés à respecter pleinement l’intégrité territoriale de la RPC, en contrepartie de quoi nous attendons du Gouvernement central qu’il reconnaisse et qu’il respecte pleinement l’intégrité de la nationalité tibétaine ainsi que son droit d’exercer une véritable autonomie au sein de la RPC. Nous sommes convaincus que ceci est la base pour la résolution de nos différends, permettant ainsi de promouvoir l’unité, la stabilité et l’harmonie entre les nationalités.

Pour que les Tibétains avancent en tant que nationalité distincte à l’intérieur de la RPC, ils ont besoin de continuer à progresser et à se développer sur le plan économique, social et politique sur des modes qui correspondent au développement de la RPC et du monde entier, tout en respectant et en encourageant les caractéristiques tibétaines d’un tel développement. Pour que cela se réalise, il est essentiel que le droit des Tibétains de se gouverner soit reconnu et mis en œuvre dans la région où ils vivent en communautés compactes dans la RPC, conformément aux besoins, priorités et caractéristiques de la nationalité tibétaine.

La culture et l’identité du peuple tibétain ne peuvent être préservées et mises en valeur que par les Tibétains eux-mêmes et par personne d’autre. Partant de là, les Tibétains devraient être capables d’entraide, d’auto développement et d’autogestion. Un équilibre optimal doit être trouvé entre ceci et l’assistance éclairée du Gouvernement central et des autres provinces et régions de la RPC, qui sont nécessaires et bienvenues.

IV - Les besoins de base des Tibétains

Les domaines d’autogestion
- 1) La langue
La langue est l’attribut le plus important de l’identité du peuple tibétain. Le tibétain est le premier moyen de communication, la langue dans laquelle sa littérature, ses textes spirituels et ses travaux historiques et scientifiques sont écrits. La langue tibétaine est non seulement au même niveau que le sanscrit en terme grammatical, mais elle permet aussi une traduction du sanscrit parfaite et précise. Partant de là, la langue tibétaine a vu naître une littérature que de nombreux chercheurs s’accordent à considérer comme l’une des plus riches au monde. La Constitution de la RPC, en son article 4, garantit la liberté de toutes les nationalités d’utiliser et de développer leurs propres langues écrites et parlées. [5]
En vue de permettre aux Tibétains d’utiliser et de développer leur propre langue, le tibétain doit être respecté en tant que principale langue écrite et parlée. De manière similaire, la langue principale des régions autonomes du Tibet doit être le tibétain.
Ce principe est largement reconnu par l’article 121 de la Constitution qui dispose que "les organes d’autogestion des régions nationales autonomes emploient la langue écrite ou parlée ou communément en usage localement". L’article 10 de la Loi sur l’Autonomie Nationale Régionale (LANR) indique que ces organes devraient garantir la liberté des nationalités, dans ces régions, d’utiliser et de développer leurs propres langues écrites et orales…
En cohérence avec le principe de reconnaissance du tibétain comme langue principale dans les régions tibétaines, la LANR (article 36) permet également aux autorités gouvernementales autonomes de décider quelles langues doivent être utilisées pour l’enseignement et les procédures d’inscription. Cela implique la reconnaissance du principe selon lequel le principal vecteur d’éducation doit être le tibétain.

- 2) La culture
Le but du concept d’autonomie régionale nationale est principalement la préservation de la culture des nationalités minoritaires. Par conséquent, la Constitution de la RPC contient des références à la préservation culturelle dans ses articles 22, 47 et 119 ainsi que dans l’article 38 de la LANR. Pour les Tibétains, la culture tibétaine est étroitement liée à leur religion, leur tradition, leur langue et leur identité, confrontées à différents niveaux de menace. Puisque les Tibétains vivent dans l’Etat multinational de la RPC, ce patrimoine culturel tibétain spécifique doit être protégé à travers des dispositions constitutionnelles appropriées.

- 3) La religion
La religion est fondamentale pour les Tibétains et le bouddhisme est étroitement lié à leur identité. Nous reconnaissons l’importance de la séparation entre l’Eglise et l’Etat mais celle-ci ne devrait pas remettre en cause la liberté et la pratique religieuses des croyants. Pour les Tibétains, il est impossible de concevoir la liberté personnelle ou collective sans la liberté de pensée, de conscience et de religion. La Constitution reconnaît l’importance de la religion et protège le droit de la pratiquer. L’article 36 garantit pour tous les citoyens le droit à la liberté de croyance religieuse. Nul ne peut contraindre autrui à croire ou à ne pas croire en une religion quelconque. La discrimination sur la base de la religion est interdite.
Une interprétation de ce principe constitutionnel à la lumière des standards internationaux couvrirait également la liberté dans la façon de pratiquer une religion. Cette liberté couvre le droit des monastères d’être organisés et gérés selon la tradition monastique bouddhiste, de prodiguer des enseignements et d’intégrer un nombre libre de moines et de nonnes quel que soit leur âge, conformément à ces règles. La pratique normale de l’organisation des enseignements publics et la possibilité de grands rassemblements sont aussi couvertes par cette liberté. L’Etat ne doit pas interférer dans les pratiques et traditions religieuses, tel le rapport maître–disciple, la gestion des institutions monastiques et la reconnaissance des réincarnations.

- 4) L’enseignement
Le désir des Tibétains de développer et d’administrer leur propre système éducatif en coopération et en coordination avec le Ministère de l’Education du Gouvernement central est soutenu par les principes énumérés dans la Constitution en matière d’enseignement. Il en est de même pour l’aspiration à s’engager et à contribuer au développement de la science et de la technologie. Dans le développement scientifique international, nous notons la reconnaissance croissante de la contribution bouddhiste à la science moderne dans les domaines de la psychologie, de la métaphysique, de la cosmologie et du fonctionnement de l’esprit humain.
Alors qu’aux termes de l’article 19 de la Constitution, l’Etat prend la responsabilité globale d’assurer l’enseignement aux citoyens, l’article 119 reconnaît le principe selon lequel "les organes d’autogestion des régions autonomes nationales administrent en toute indépendance les affaires (…) éducatives dans leurs régions respectives". Ce principe est également repris dans l’article 36 de la LANR.
Puisque le degré d’autonomie dans la prise de décisions est flou, le point à souligner est que les Tibétains doivent avoir une véritable autonomie en ce qui concerne leur éducation, ceci étant soutenu par les principes constitutionnels concernant l’autonomie.
En ce qui concerne l’aspiration à participer et contribuer au développement de la connaissance scientifique et de la technologie, la Constitution (article 119) et la LANR (article 39) reconnaissent clairement le droit des régions autonomes à développer la connaissance scientifique et la technologie.

- 5) La protection de l’environnement
C’est au Tibet que se trouvent les sources des grands fleuves d’Asie. S’y trouvent également les montagnes les plus élevées du monde ainsi que le plus haut et le plus vaste plateau, riche en ressources minérales, forêts anciennes et de nombreuses vallées profondes préservées de toute perturbation humaine.
Cette pratique de la protection environnementale fut enrichie par le respect traditionnel du peuple tibétain pour toutes les formes de vie, qui interdit de nuire aux êtres, que ce soit les humains ou des animaux. Autrefois, le Tibet était une région reculée et sauvage, intacte dans un environnement naturel unique.
Aujourd’hui, l’environnement traditionnel du Tibet souffre de dégâts irréparables dont les effets sont particulièrement notables dans les prairies, les terres agricoles, les forêts, les ressources en eau et la faune.
Etant donné ceci et, conformément aux articles 45 et 66 de la LANR, le peuple tibétain devrait se voir confier le droit de gérer l’environnement, ce qui lui permettrait de poursuivre ses pratiques traditionnelles de préservation.

- 6) L’utilisation des ressources naturelles
En ce qui concerne la protection et la gestion de l’environnement naturel et l’utilisation des ressources naturelles, la Constitution et la LANR ne reconnaissent qu’un rôle limité aux organes d’autogestion des régions autonomes (voir la LANR articles 27, 28, 45, 66 ainsi que l’article 118 de la Constitution, ce dernier garantissant que l’Etat "doit porter une attention particulière aux intérêts des régions autonomes nationales"). La LANR reconnaît l’importance pour les régions autonomes de protéger et de développer les forêts et les prairies (article 27) et de "donner la priorité à l’exploitation raisonnée et l’utilisation des ressources naturelles que les autorités locales ont le droit de développer", mais uniquement dans les limites des plans nationaux et des règles juridiques. En réalité, le rôle central de l’Etat dans ces questions est reflété dans la Constitution (article 9).
Les principes d’autonomie énoncés par la Constitution ne peuvent pas, de notre point de vue, mener les Tibétains à devenir véritablement maîtres de leur propre destin s’ils ne sont pas suffisamment impliqués dans la prise de décision quant à l’utilisation des ressources naturelles comme les ressources minérales, l’eau, les forêts, les montagnes, les prairies, etc.
Le développement des ressources naturelles, les impôts et les recettes de l’économie d’une région découlent des terres qui appartiennent à son peuple. Il est donc essentiel que le peuple d’une région ait l’autorité légale pour transférer ou louer les terres, sauf celles qui appartiennent à l’Etat. De la même manière, la région autonome doit jouir d’une indépendance d’autorité pour formuler et mettre en œuvre des projets de développement en parallèle avec les projets de l’Etat.

- 7) Le développement économique et le commerce
Au Tibet, le développement économique est souhaité et nécessaire. Le peuple tibétain vit dans une des régions les plus arriérées de la RPC.
La Constitution reconnaît le principe selon lequel les autorités autonomes ont un rôle important à jouer dans le développement économique de leur région étant donné les caractéristiques et les besoins locaux (article 118 de la Constitution, également posé par l’article 25 de la LANR). La Constitution reconnaît également le principe d’autonomie dans l’administration et la gestion des finances (article 117, et article 32 de la LANR). En même temps, la Constitution reconnaît l’importance de fournir le financement et l’assistance de l’Etat afin d’accélérer le développement (article 122, et article 22 de la LANR).
D’une manière semblable, l’article 31 de la LANR reconnaît aux régions autonomes, et particulièrement celles qui, comme le Tibet, sont contiguës à des pays étrangers, la compétence de faire du commerce international, transfrontalier ou autre. La reconnaissance de ces principes est importante pour la nationalité tibétaine étant donnée la proximité de pays étrangers avec lesquels le peuple tibétain a des affinités culturelles, religieuses, ethniques et économiques.
L’aide accordée par le gouvernement central et les provinces procure des avantages provisoires mais, sur le long terme, si le peuple tibétain n’est pas autosuffisant et qu’il devient dépendant des autres, cette aide pourra se révéler néfaste. Un objectif important de l’économie est donc de rendre le peuple tibétain autosuffisant sur le plan économique.

- 8) La santé publique
La Constitution envisage la responsabilité de l’Etat dans la fourniture de services médicaux et de santé (article 21). L’article 119 reconnaît que ceci est un domaine de responsabilité des régions autonomes. La LANR (article 40) reconnaît également le droit des organes d’autogestion des régions autonomes de "prendre des décisions indépendantes sur les projets de développement des services de santé et d’amélioration de la médecine moderne et traditionnelle des nationalités".
Le système de santé existant ne couvre pas de manière adéquate les besoins de la population tibétaine rurale. Selon les principes des lois mentionnées ci-dessus, les organes autonomes régionaux doivent disposer des compétences et des ressources pour couvrir les besoins de santé de tout le peuple tibétain. Ils doivent également se voir attribuer les compétences pour promouvoir les systèmes traditionnels tibétains médicaux et cosmologiques, conformément à la pratique traditionnelle.

- 9) La sécurité publique
Dans le domaine de la sécurité publique, il est important que la plupart des membres de la force publique soient issus de la nationalité locale afin qu’ils comprennent et respectent les us et les coutumes locales.
Il est essentiel que l’autorité décisionnelle soit entre les mains des responsables locaux tibétains.
Un aspect important de l’autonomie et de l’autogestion est la responsabilité de l’ordre public interne et de la sécurité des régions autonomes. La Constitution (article 120) et la LANR (article 24) reconnaissent l’importance de l’implication locale et autorisent les régions autonomes à organiser leur sécurité dans le cadre du "système militaire et des besoins de l’Etat et l’approbation de Conseil d’Etat".

- 10) La régulation de la migration de populations
L’objectif fondamental de l’autonomie régionale nationale et de l’autogestion est de préserver l’identité, la culture, la langue (et ainsi de suite) de la nationalité minoritaire et de s’assurer que celle-ci soit maître de ses propres affaires. Quand cela s’applique à un territoire particulier où la nationalité minoritaire vit dans une (ou des) communauté(s) concentrée(s), le principe même et le but de l’autonomie régionale nationale sont ignorés si la migration sur une grande échelle et l’établissement majoritaire de la nationalité han (et d’autres nationalités) sont encouragées et autorisées. Les changements démographiques majeurs qui résultent d’une telle migration auront pour effet d’assimiler plutôt que d’intégrer la nationalité tibétaine au cœur de la nationalité han, et peu à peu éteindront la culture distincte et l’identité de la nationalité tibétaine. De plus, l’arrivée d’un grand nombre de Hans et de membres d’autres nationalités changera fondamentalement les conditions de l’exercice de l’autonomie régionale puisque les critères constitutionnels pour l’exercice de celle-ci, à savoir que la nationalité minoritaire "vive en communauté compacte" sur un territoire particulier, seront modifiés et sabotés du fait des mouvements et transferts de population. Si de telles migrations et installations se poursuivent sans être contrôlées, les Tibétains ne vivront plus dans des "communautés compactes" et n’auront plus droit, selon la Constitution, à l’autonomie régionale nationale. Ceci enfreindrait les principes mêmes de la Constitution dans son approche des nationalités.
Il existe un précédent au sein la RPC quant à la restriction de migration ou de résidence des citoyens. On ne reconnaît que d’une manière très limitée le droit des régions autonomes d’élaborer des mesures afin de contrôler la population de passage dans ces régions. Pour nous, il serait vital que ces organes autonomes d’autogestion aient l’autorité de réglementer la résidence, l’installation, l’emploi ou l’activité économique des personnes qui souhaitent emménager dans les régions tibétaines en provenance d’autres régions de la RPC, afin de s’assurer que soit respectée la réalisation des objectifs du principe d’autonomie.
Il n’est pas dans notre intention d’expulser les non-Tibétains qui se sont installés de manière permanente au Tibet et ont vécu et grandi là depuis un temps considérable. Notre inquiétude vient de ce que le mouvement massif en cours dans de nombreuses régions du Tibet est principalement han (et d’autres nationalités), ce qui perturbe les communautés existantes et marginalise la population tibétaine, tout en menaçant le fragile environnement naturel.

- 11) Les échanges culturels, éducatifs et religieux avec d’autres pays
En plus de l’importance des échanges et de la coopération entre la nationalité tibétaine et les autres nationalités, provinces et régions de la RPC sur les questions d’autonomie, telles que la culture, l’art, l’éducation, la science, la santé publique, le sport, la religion, l’environnement, l’économie et ainsi de suite, le pouvoir des régions autonomes de mener de tels échanges avec des pays étrangers est également reconnu dans la LANR (article 42).

V - Application d’une seule administration pour la nationalité tibétaine au sein de la RPC.
Afin que la nationalité tibétaine puisse se développer et s’épanouir, avec son identité distincte, sa culture et sa tradition spirituelle, à travers l’exercice de l’autogestion sur la base des besoins tibétains tels que mentionnés ci-avant, la communauté entière, y compris les régions désignées par la RPC comme régions autonomes du Tibet, devrait être considérée comme une seule entité administrative. Les divisions administratives actuelles, en conséquence desquelles les communautés tibétaines sont gérées et administrées par différentes provinces et régions de la RPC, encouragent la fragmentation, promeuvent un développement inégal et affaiblissent la capacité de la nationalité tibétaine à protéger et promouvoir son identité commune culturelle, spirituelle et ethnique. Au lieu de respecter l’intégrité de la nationalité, cette politique en promeut la fragmentation et ne respecte pas l’esprit de l’autonomie. Alors que d’autres minorités importantes telles que les Mongols ou les Ouïghours se gouvernent elles-mêmes, au sein de leurs régions autonomes respectives, les Tibétains restent comme s’ils constituaient plusieurs nationalités minoritaires plutôt qu’une seule.
Rassembler tous les Tibétains vivant dans les régions désignées comme régions autonomes du Tibet sous une entité administrative unique est entièrement conforme au principe constitutionnel contenu à l’article 4, aussi présent dans la LANR (article 2), selon lequel "l’autonomie régionale est pratiquée là où les populations des minorités nationales vivent en communautés concentrées". La LANR qualifie l’autonomie régionale nationale comme la "politique de base adoptée par le Parti communiste de Chine comme solution à la question nationale en Chine" et explique son sens et son intention dans la Préface :
Les nationalités minoritaires, sous la direction unifiée de l’Etat, pratiquent l’autonomie régionale dans des régions où ils vivent en communautés concentrées et mettent en place des organes d’autogestion pour l’exercice du pouvoir de l’autonomie. L’autonomie nationale régionale incorpore le respect plein de l’Etat et garantit le droit des nationalités minoritaires d’administrer leurs affaires internes et son adhésion au principe d’égalité, d’unité et de prospérité commune de toutes les nationalités.

Il est clair que la nationalité tibétaine au sein de la RPC ne sera effectivement en mesure d’exercer son droit de se gouverner elle-même et d’administrer ses propres affaires internes que si elle peut le faire à travers un organe d’autogestion qui aura compétence sur la nationalité tibétaine, perçue comme un tout.
La LANR reconnaît le principe selon lequel les frontières des régions autonomes nationales puissent avoir besoin d’être modifiées. Le besoin d’appliquer les principes fondamentaux de la Constitution sur l’autonomie régionale à travers le respect de l’intégrité de la nationalité tibétaine est non seulement totalement légitime, mais les changements administratifs qui pourraient être nécessaires pour y arriver ne violent aucun principe constitutionnel. Il y a plusieurs précédents où cela a vraiment été le cas.

VI - La nature et la structure de l’autonomie

La mesure dans laquelle le droit à notre autogestion et à notre auto-administration peut être exercé sur les questions mentionnées ci-dessus détermine largement le caractère véritable de l’autonomie tibétaine. La tâche à accomplir ici est d’examiner la manière selon laquelle l’autonomie peut être réglementée et exercée pour répondre efficacement à la situation unique et aux besoins de base de la nationalité tibétaine.
L’exercice d’une autonomie véritable inclurait le droit des Tibétains à créer leur propre gouvernement, leurs institutions et les processus gouvernementaux régionaux les mieux adaptés à leurs besoins et à leurs spécificités. Il faudrait que le Congrès du Peuple de la région autonome ait le pouvoir de légiférer sur toutes les questions de la compétence de la région et que d’autres organes du gouvernement autonome aient le pouvoir d’exécuter et d’administrer ces décisions de manière autonome. L’autonomie entraîne aussi la représentation et la participation significative dans la prise de décision nationale au sein du Gouvernement central. Des procédures de consultation efficaces et une coopération proche, ou une prise conjointe de décision entre le Gouvernement central et le Gouvernement régional dans des domaines d’intérêt commun, doivent aussi être mis en place pour que l’autonomie soit effective.
Un élément crucial de l’autonomie véritable est la garantie apportée par la Constitution, ou par d’autres lois, que les pouvoirs et les responsabilités alloués à la région autonome ne puissent pas être abrogés ou modifiés unilatéralement. Ceci veut dire que ni le Gouvernement central ni celui de la région autonome ne doivent pouvoir changer les éléments essentiels de l’autonomie sans le consentement de l’autre.
Les paramètres et les éléments spécifiques d’une telle autonomie véritable pour le Tibet, qui répondent aux besoins uniques et aux conditions du peuple tibétain et de la région tibétaine, devraient être élaborés en détail dans des réglementations sur l’exercice de l’autonomie telles que prévues à l’article 116 de la Constitution (ou l’article 19 de la LANR) ou, si cela était plus approprié, dans le cadre de lois ou de règlements séparés adoptés à cette fin. La Constitution, y compris l’article 31, fournit la souplesse nécessaire pour adopter les lois spéciales pour répondre aux situations uniques, telles que la situation tibétaine, tout en respectant le système politique, économique et social établi du pays.

Dans sa section VI, la Constitution envisage des organes d’autogestion des régions autonomes nationales et reconnaît leur pouvoir de légiférer. Ainsi l’article 116 (mis en œuvre dans l’article 19 de la LANR) fait référence à leur pouvoir de promulguer "des réglementations à la lumière des caractéristiques politiques, économiques et culturelles de la nationalité ou des nationalités dans les régions concernées". De manière semblable, la Constitution reconnaît la possibilité d’une administration autonome dans un certain nombre de régions (article117-120) aussi bien que le pouvoir des gouvernements autonomes d’user de souplesse dans la mise en œuvre des lois et politiques du Gouvernement central et des organes supérieurs de l’Etat afin de convenir aux conditions de la région autonome concernée (article 115).
Les dispositions juridiques mentionnées ci-dessus contiennent des restrictions significatives de l’autorité de prise de décision des organes autonomes du Gouvernement. Néanmoins, la Constitution reconnaît le principe selon lequel les organes d’autogestion adoptent des lois et des décisions de politique qui s’adressent aux besoins locaux, et que ces lois peuvent être différentes de celles adoptées ailleurs, y compris celles du Gouvernement central.
Bien que les besoins des Tibétains soient plus ou moins en accord avec les principes sur l’autonomie contenus dans la Constitution, comme nous l’avons montré, leur réalisation est entravée par l’existence d’un certain nombre de problèmes qui rendent aujourd’hui difficile ou inefficace la mise en œuvre de ces principes.

La mise en œuvre d’une autonomie véritable requiert, par exemple, une séparation claire des pouvoirs et des responsabilités entre le Gouvernement central et le Gouvernement de la région autonome en matière de compétences respectives. Actuellement, une telle clarté n’existe pas et la portée des pouvoirs législatifs des régions autonomes est à la fois incertaine et sévèrement limitée. Alors que la Constitution reconnaît effectivement le besoin spécifique des régions autonomes de légiférer sur de nombreuses questions qui les concernent, par contre, les termes de l’article 116 exigeant l’approbation préalable au plus haut niveau du Gouvernement central, via le Comité permanent du Congrès national populaire (CNP), empêchent la mise en œuvre de ce principe d’autonomie. En réalité, seuls les congrès régionaux autonomes doivent se plier à une telle approbation, alors que ceux des provinces ordinaires (non autonomes) de la RPC n’en ont pas besoin et se contentent d’informer simplement le Comité permanent du CNP du vote de réglementations "aux fins d’enregistrement" (article 100).
L’exercice de l’autonomie, en outre, est sujet à un nombre considérable de lois et de règlements en vertu de l’article 115 de la Constitution. Certaines lois restreignent de manière concrète l’autonomie de la région autonome alors que d’autres ne sont pas toujours en accord les unes avec les autres. Il en résulte que la portée précise de l’autonomie n’est pas claire et n’est pas fixée puisqu’elle est changée de manière unilatérale par la mise en œuvre de lois et règlements aux niveaux les plus élevés de l’Etat, voire même par des changements de politiques. De surcroît, il n’existe pas de procédures adéquates de consultation ou de règlement des différends pouvant naître entre les organes du Gouvernement central et du Gouvernement régional quant à la portée et à l’exercice de l’autonomie. Dans la pratique, l’incertitude qui en résulte limite l‘initiative des autorités régionales et empêche l’exercice de l’autonomie véritable par les Tibétains aujourd’hui.
A cette étape, nous ne souhaitons pas rentrer dans les détails concernant ces obstacles à l’exercice de l’autonomie véritable par les Tibétains, mais nous souhaitons les mentionner à titre d’exemples pour que ceux–ci puissent être envisagés de manière appropriée dans notre dialogue futur. Nous allons continuer à étudier la Constitution et d’autres dispositions juridiques pertinentes et, quand cela sera approprié, nous serons heureux de fournir d’autres analyses de ces questions, telles que nous les comprenons.

VII - La voie pour avancer

Comme indiqué au début de ce mémorandum, notre intention est d’explorer comment les besoins de la nationalité tibétaine peuvent être satisfaits au sein de la RPC dès lors que croyons que ces besoins sont en accord avec les principes de la Constitution en matière d’autonomie. Comme Sa Sainteté le Dalaï Lama l’a indiqué à de nombreuses reprises, nous n’avons pas d’agenda caché. Nous n’avons aucune intention d’utiliser un accord sur l’autonomie véritable comme un pas vers une séparation d’avec la RPC.
L’objectif du Gouvernement tibétain en exil est de représenter les intérêts du peuple tibétain et de parler en son nom. Par là même, dès qu’un accord sera trouvé entre nous, ce Gouvernement ne sera plus nécessaire et sera dissous. De fait, Sa Sainteté a réitéré sa décision de ne pas accepter de fonction politique au Tibet, et ce à n’importe quel moment de l’avenir. Sa Sainteté le Dalaï Lama a l’intention néanmoins d’utiliser son influence personnelle pour s’assurer qu’un tel accord puisse avoir la légitimité nécessaire pour recueillir le soutien du peuple tibétain.
Etant donné ces engagements forts, nous proposons que l’étape suivante de ce processus soit d’accepter le fait de commencer des discussions sérieuses sur les points soulevés dans ce mémorandum. A cette fin, nous proposons de discuter et de nous mettre d’accord sur un (ou des) mécanisme(s) mutuellement acceptable(s) et sur un calendrier pour y arriver efficacement.

Administration centrale tibétaine, [6]
Dharamsala, Inde, novembre 2008
Source : www.tibet.net

Traduction française effectuée par le Bureau du Tibet, Paris (tibetoffice@orange.fr)


Add. 19/02/2010.
Suite au rejet par la Chine du "Mémorandum sur l’autonomie véritable pour le peuple tibétain" et ses accusations lancées contre SS le Dalaï Lama, l’Administration tibétaine en exil a publié une "Note explicative du Mémorandum sur l’autonomie véritable pour le peuple tibétain" afin de clarifier un certain nombre de points évoqués dans le Mémorandum.

[1] Texte en français de la Constitution de la RPC et ses diverses révisions.

[2] Chapitre I, Art. 4 : (...) "Les régions où se rassemblent les minorités ethniques appliquent l’autonomie régionale ; elles établissent des organes administratifs autonomes et exercent leur droit à l’autonomie" (...).

[3] Voir la liste des 55 minorités chinoises (+ les Hans).

[4] Déclaration faite en 1979.

[5] Fin de l’article 4 : "Chaque ethnie a le droit d’utiliser et développer sa propre langue et sa propre écriture, a le droit de conserver ou réformer ses us et coutumes".

[6] Constitution de l’Administration Centrale Tibétaine.


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