Synthèse du Mémorandum sur l’autonomie effective du peuple tibétain

lundi 17 novembre 2008 par Rédaction

Le texte ci-dessous est une traduction du résumé publié sur le site du Gouvernement tibétain en exil lors de la conférence de presse des envoyés de Sa Sainteté le Dalaï Lama le 16 novembre 2008, au Lhakpa Tsering hall, à la Direction de l’Information et des Relations Internationales à Dharamsala.
Le texte complet de ce Mémorandum est également disponible en français dans cet article écrit ultérieurement.


Conférence de presse 16 nov. 2008

Introduction

Au cours de la 7ème série de pourparlers à Pékin, les 1er et 2 juillet 2008, le Vice-Président de la Conférence Politique Consultative du Peuple Chinois (CPCPC) [1] et le Ministre du Département Central du Front du Travail Unifié [2] (DCFTU), Mr Du Qinglin, nous avaient explicitement invité à leur faire part de toutes suggestions, venant de Sa Sainteté le Dalaï Lama, sur la stabilité et le développement du Tibet. Le Vice-Ministre exécutif de la DCFTU, Mr. Zhu Weiqun, avait ajouté qu’ils aimeraient entendre notre point de vue sur le niveau et le type d’autonomie que nous recherchions, et sur tout ce qui a trait aux formes d’autonomie régionale dans le respect de la Constitution de la République Populaire de Chine (RPC).
Aussi, lors de la 8ème série de pourparlers, nous avons présenté ce Mémorandum sur l’Autonomie Effective pour le Peuple tibétain au Vice-Président, Mr Du Qinglin, et nous avons eu des discussions soutenues avec nos homologues chinois les 4 et 5 novembre 2008 à Pékin.
Il y a quelques jours, le DCFTU du Parti Communiste Chinois a publié des communiqués sur nos échanges à Pékin, en particulier sur le contenu du Mémorandum que nous leur avons présenté. Ces déclarations chinoises déforment à la fois nos propos et la proposition décrite dans notre document. C’est pourquoi nous rendons public ce Mémorandum afin de permettre au public, aux gouvernements intéressés, aux parlementaires, aux organisations non gouvernementales et aux individus de mieux comprendre et de connaître l’intégralité de la proposition des Tibétains sur l’autonomie effective pour le peuple tibétain.

Notre Mémorandum expose notre conception de l’autonomie effective, et décrit comment les besoins spécifiques de la nationalité tibétaine en terme d’autonomie, notamment en ce qui concerne le gouvernement, peuvent trouver une réponse en appliquant les dispositions sur l’autonomie prévues par la Constitution de la RPC, telles que nous les comprenons.
Sur cette base, Sa Sainteté le Dalaï Lama a exprimé sa confiance vis-à-vis de cette proposition quant à la capacité de l’autonomie effective, à l’intérieur de la RPC, de répondre aux besoins essentiels de la nationalité tibétaine.

Résumé du mémorandum

La Constitution de la RPC intègre des principes de base sur l’autonomie et l’auto-gouvernance dont les objectifs sont compatibles avec les besoins et aspirations des Tibétains. L’autonomie régionale des nationalités vise à protéger celles-ci de l’oppression tout en prévenant les risques de séparatisme, avec des mises en garde contre le chauvinisme han et les nationalismes locaux. Son intention est d’assurer la protection de la culture et de l’identité des minorités nationales en leur donnant la possibilité de gérer leurs propres affaires.
Dans le respect des dispositions constitutionnelles sur l’autonomie, les aspirations des Tibétains pourraient dans une large mesure trouver une réponse qui les satisfasse. Dans plusieurs domaines, la Constitution accorde une délégation de pouvoirs significative aux organes des nationalités dans la prise de décision et dans la gestion même du système d’autonomie. Ces pouvoirs discrétionnaires pourraient permettre la mise en œuvre d’une autonomie effective pour les Tibétains et de répondre aux spécificités de leur situation. Si chaque partie fait preuve de bonne volonté, les problèmes en cours peuvent être résolus dans le cadre même des dispositions constitutionnelles sur l’autonomie. Ainsi, il serait permis, tout en respectant l’unité et la stabilité nationales, d’instaurer des relations harmonieuses entre les Tibétains et les autres nationalités.

Les aspirations des Tibétains

Les Tibétains bénéficient d’une histoire, d’une culture et de traditions spirituelles riches, qui leur sont propres : l’ensemble constitue un héritage exceptionnel pour l’humanité. Les Tibétains ne veulent pas seulement préserver leur propre patrimoine, auquel ils sont attachés. Ils tiennent aussi à faire évoluer leur culture, leur vie spirituelle et leurs connaissances en s’adaptant aux besoins et aux contraintes de l’humanité du XXIème siècle.
En étant partie prenante de l’état multi-national de la RPC, les Tibétains pourraient bénéficier de son rapide développement économique et scientifique. Conjointement à ce vœu de pouvoir activement participer et contribuer à ce développement, nous voudrions aussi nous assurer du fait que cela ne s’accompagne pas pour les Tibétains d’une dégradation de leur identité, de leur culture ou d’une perte de leurs valeurs profondes, et sans mettre non plus en péril l’environnement fragile et si particulier du Plateau tibétain, berceau du peuple tibétain.
Sa Sainteté le Dalaï Lama est attaché très clairement et sans ambiguïté à trouver une solution pour le peuple tibétain à l’intérieur même de la RPC. Cette position est en plein accord avec la déclaration du dirigeant Deng Xiaoping qui insistait [3] sur le fait qu’en dehors de l’indépendance, toutes les autres questions pouvaient se résoudre par le dialogue. C’est pourquoi, étant résolus à respecter totalement l’intégrité territoriale de la RPC, nous attendons du Gouvernement Central qu’il reconnaisse et respecte totalement l’intégrité de la nationalité tibétaine, et son droit à bénéficier d’une autonomie effective à l’intérieur de la RPC. Nous estimons que, sur ces bases, il sera possible de gérer ces disparités qui existent entre nous, afin d’instaurer plus d’unité, de stabilité et d’harmonie entre les nationalités.

Besoins fondamentaux des Tibétains

Domaines concernés par le gouvernement autonome
- 1) Langue.
- 2) Culture.
- 3) Religion.
- 4) Education.
- 5) Protection de l’Environnement.
- 6) Utilisation des ressources naturelles.
- 7) Développement économique et commerce.
- 8) Santé publique.
- 9) Sécurité publique.
- 10) Contrôle des mouvements de population.
- 11) Echanges avec les pays étrangers dans les domaines culturels, éducatifs et religieux.

Respect de l’intégrité de la nationalité tibétaine
Les Tibétains appartiennent tous à une même minorité nationale en dépit des découpages administratifs actuels. L’intégrité de la nationalité tibétaine doit être respectée. Ce qui correspond d’ailleurs à l’esprit, l’intention et les principes sur lesquels s’appuie le concept constitutionnel "d’autonomie régionale dans la nation” ; de même pour le concept "d’égalité entre minorités”.
Personne ne conteste le fait que les Tibétains partagent une même langue, une culture, une tradition spirituelle, des valeurs, et des coutumes communes. Les Tibétains appartiennent au même groupe ethnique et ils ont un profond sentiment d’identité. Ils ont en commun une même histoire. Et, malgré quelques périodes de conflits politiques ou administratifs, les Tibétains sont restés unis par la religion, la culture, l’éducation, la langue, l’art de vivre et par l’environnement unique de leurs hauts plateaux.
La nation tibétaine réside dans un même espace contigu, celui du Plateau tibétain, depuis des millénaires, et dont elle est donc indigène. Par rapport aux principes constitutionnels d’autonomie régionale dans la nation, les Tibétains de la RPC forment une même minorité, répartie sur tout le Plateau tibétain.
Afin de permettre à la nationalité tibétaine de se développer et de prospérer dans le respect de son identité propre, de sa culture et de ses traditions spirituelles – à travers un gouvernement autonome en accord avec les besoins fondamentaux, décrits ci-dessus, des Tibétains – sa communauté toute entière, intégrant toutes les régions actuellement désignées par la RPC comme des “zones tibétaines autonomes”, devrait être gérée par une même entité administrative.

Les découpages administratifs actuels, où les communautés tibétaines se trouvent dirigées et gérées par diverses provinces ou régions de la RPC, favorisent l’éclatement ; ils induisent une disparité dans les développements économiques, et ils réduisent les possibilités pour la nationalité tibétaine de pouvoir protéger et de faire évoluer son patrimoine culturel commun, et son identité spirituelle et ethnique. Au lieu de respecter l’intégrité des nationalités, cette politique crée plus de fragmentation et va à l’encontre du principe d’autonomie.

Définition et organisation de l’autonomie
La mise en œuvre de l’autonomie effective doit permettre aux Tibétains de constituer leur propre gouvernement régional, avec les institutions nécessaires, et de définir des processus de gestion adaptés à leurs spécificités. Le Congrès populaire de la région autonome doit pouvoir légiférer sur toute question relevant des compétences de la région, et les différents organes du gouvernement autonome doivent pouvoir décider de l’exécution et du suivi de ces mesures de manière autonome.
Autonomie implique aussi représentativité et participation significative aux processus décisionnels au niveau du Gouvernement Central. Pour une autonomie effective, les processus nécessaires devront être là pour garantir une consultation effective, une coopération étroite, et même une prise de décision conjointe entre le Gouvernement Central et celui de la Région, sur tout domaine d’intérêt commun.

Un point critique de l’autonomie effective est l’assurance donnée par la Constitution, et d’autres lois, que les pouvoirs et les responsabilités alloués à la région autonome ne peuvent pas être abrogés ou modifiés de manière unilatérale.
Cela signifie que ni le Gouvernement Central, ni le gouvernement de la région autonome ne devraient pouvoir – sans l’accord de l’autre partie – transformer les règles de base de l’autonomie.
La mise en œuvre de l’autonomie effective, par exemple, requiert une séparation nette des pouvoirs entre le Gouvernement Central et la région autonome, quant aux aires de compétence de chacun.
Aujourd’hui, cette distinction n’existe pas clairement, et le périmètre des pouvoirs législatifs des régions autonomes est à la fois flou et extrêmement étroit.
Aussi, alors que la Constitution vise à reconnaître le besoin particulier pour les régions autonomes de pouvoir légiférer sur tout sujet qui les intéresse en propre, l’Article 116 exige en fait un accord préalable du Gouvernement Central – en l’occurence le Comité Permanent du Congrès National du Peuple (CNP) : c’est un obstacle à la mise en oeuvre du concept d’autonomie.
Plus précisément, seuls les congrès des régions autonomes requièrent expressément une telle approbation, alors que ceux des provinces “normales” (non autonomes) de la RPC n’ont pas à obtenir ce feu vert préalable, et n’ont en fait qu’à informer de la nouvelle disposition le Comité Permanent de la CNP “pour enregistrement” (Article 100).

En outre, l’exercice de l’autonomie est soumis à un nombre considérable de lois et de règlements (cf. Article 115 de la Constitution). Dans la pratique, certaines lois restreignent l’autonomie de la région autonome, tandis que des incohérences existent entre d’autres dispositions. Il en résulte que le périmètre exact de l’autonomie reste flou et indéfini puisqu’il est soumis à des modifications décidées unilatéralement – par les plus hauts échelons de l’état, qui ont leur propre interprétation des lois et des règlements – sans parler des changements de politique. Il n’existe pas non plus de processus adéquat permettant la consultation ou le traitement des litiges éventuels entre les organes du Gouvernement Central et ceux du gouvernement régional, quant à leurs périmètres respectifs de responsabilité et d’autonomie. Dans la pratique, les incertitudes qui en résultent réduisent l’autonomie réelle des autorités régionales et contrecarrent l’autonomie effective requise par les Tibétains aujourd’hui.

Dharamsala, le 16 Novembre 2008.

Source : www.tibet.net, 16 novembre 2008.


Add. 19/02/2010.
Suite au rejet par la Chine du "Mémorandum sur l’autonomie véritable pour le peuple tibétain" et ses accusations lancées contre SS le Dalaï Lama, l’Administration tibétaine en exil a publié une "Note explicative du Mémorandum sur l’autonomie véritable pour le peuple tibétain" afin de clarifier un certain nombre de points évoqués dans le Mémorandum.

[1] La CPCPC est une assemblée sans pouvoirs de décisions. Placée sous la direction du Parti communiste chinois, elle regroupe les représentants des organisations ayant fait alliance avec le PCC au sein du front uni patriotique lors de la guerre civile entre 1946 et 1949. Cette assemblée permet à l’État-Parti de consulter les divers groupes ethniques et autres organisations avant de décider des lois et décrets. La CCPPC se réunit une fois par an en même temps que la session plénière de l’Assemblée nationale populaire. Son rôle et ses pouvoirs sont semblables à ceux d’une chambre haute consultative.
(Définition extraite de l’article de Wikipédia).

[2] Département Central du Front du Travail Unifié : Traduction littérale de l’anglais "Central United Front Work Department". M. Du Qinglin est nommé dans l’article du Quotidien du Peuple relatif à la rencontre de juillet comme étant le "chef du département du travail du front uni du Comité central du Parti communiste chinois (PCC)".

[3] Lorsque Deng Xiaoping rencontra Gyalo Thondup, frère du Dalaï Lama en 1979