"Ils nous traitent comme des animaux", par Tashi Rabten

mardi 14 mai 2013 par Rédaction , Monique Dorizon

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Tashi Rabten
© T.C.H.R.D.

Tashi Rabten (nom de plume : Theurang) est un écrivain tibétain, poète et éditeur qui purge une peine de quatre ans [1] dans la prison de Mianyang, province du Sichuan.

Il est diplômé de l’Université du Nord-Ouest pour les nationalités et éditait la revue en tibétain, désormais interdite, "Shar Dungri".

Il a également publié "Écrit avec le sang" [2], une compilation de ses poèmes, de notes et d’écrits sur la situation au Tibet après les manifestations de 2008.

Dans l’essai ci-dessous, l’écrivain dénonce l’insensibilité culturelle des touristes chinois et la commercialisation de la culture tibétaine alors que le nombre de touristes chinois continue d’augmenter, exerçant une pression énorme sur l’écologie fragile et le paysage du plateau tibétain [3].

"Ils nous traitent comme des animaux"
Par Theurang
Pendant l’été, ma patrie est remplie de nuées de touristes chinois. La ruée des touristes fait que les Tibétains âgés éprouvent des difficultés à déambuler autour des monastères. Couvrant leurs têtes dans des robes, des moines et des nonnes sont debout bouche bée devant les touristes, en silence.
Quand je vois ces images, quand je pense à eux, je souffre de douleurs intenses et de désespoir. La colère et le ressentiment bouillonnent dans mon cœur. Aujourd’hui, sous les bottes écrasantes des étrangers, ma patrie souffre de dégénérescence et de décadence.
Comme des myriades de fourmis déchaînées près des fourmilières, ce nombre croissant de touristes se prépare à s’installer de manière permanente sur nos terres. Ce qui me fait rire et pleurer en même temps, c’est de voir les visages souriants des Tibétains attirés par des espèces sonnantes et trébuchantes. Même les chefs des villages nomades ont signé des contrats pour vendre leurs terres. Au cours des deux à trois prochaines années, ces visiteurs, qui se disent touristes, vont s’installer de manière permanente sur nos terres.

Lorsque les véhicules de tourisme arrivent, les Tibétaines rougeaudes et les garçons tibétains morveux se précipitent avec leurs chevaux. Retenant leur souffle, le désespoir dans leurs yeux, ils portent des touristes chinois sur leurs chevaux et grimpent dans les montagnes. Tenant des billets de 50 yuans dans leurs mains, des sourires sur leurs visages, ils tuent le temps en attendant l’arrivée d’autres touristes. Quand je les vois, je me demande comment une race qui, autrefois, a conquis les deux tiers du territoire de la planète, a été transformée en un tas d’esclaves sans âme au service d’autres personnes. Mes chers compatriotes, si nous ne pouvons pas peindre les os de nos ancêtres en or, le moins que nous puissions faire, c’est de ne pas jeter leurs cheveux gris dans le vent.

Les touristes portent des caméras de différentes tailles dans leurs mains. Des foules de moines, des gens âgés et des "militaires" sont éberlués par les touristes lorsque ces derniers prennent des photos de villages de nomades et de rivières. L’un des touristes a pointé son appareil photo vers les yeux d’aspect étrange de ces Tibétains et les a pris en photo. Quand j’ai vu cela, je me demandais : "Quand le touriste retourne chez lui, où va-t-il mettre cette image et quelle sorte de légende va-t-il lui donner ?" Ces pensées m’ont donné une douleur intense et du désespoir.

Pourquoi ces touristes pointent-ils leurs caméras sur les visages des Tibétains âgés et prennent-ils leurs photos ? Ces touristes n’ont-ils pas de sens éthique et de morale ? Si nous nous retournions et pointions la caméra sur leurs visages et prenions leur photo, ne courraient-ils pas loin de nous en disant que nous violons leurs droits ? Le fait qu’ils continuent de prendre des photos de nos gens, nos montagnes et nos villages - tout en sachant que de telles actions sont contraires à l’éthique, immorales et illégales - montre clairement quel est le genre de statut porté par nos gens. Ils nous traitent comme des animaux qui ne sont pas capables de parler. Ils nous traitent comme des travailleurs pauvres qui pourraient être attirés dans n’importe quelle direction par l’appât de l’argent liquide. Ils nous traitent comme une race de barbares ignorants.

Mes chers compatriotes, comme le dit le dicton, si les fils ne parviennent pas à hériter de l’héritage des ancêtres, ou si le fil ne parvient pas à hériter de l’héritage des aiguilles, les autres continueront à piétiner nos têtes.

Que se passerait-il si vous visitiez une ville chinoise et pointiez votre caméra au hasard sur le visage d’un chinois et le preniez en photo ? Quelles seraient les conséquences si vous preniez égoïstement des photos de maisons, de biens et autres objets précieux d’une ville ? Comment le fouet des lois vous chasserait si vous fouliez aux pieds les droits et libertés des personnes vivant dans une ville ? Pourquoi ne pas faire en sorte que les normes du droit et de l’éthique des villes s’appliquent également dans nos prairies nomades ? Pourquoi les touristes tenant une caméra circulant en voiture et les gens à cheval ne pourraient-ils pas bénéficier d’un statut égal si les droits de l’homme ont une résonance universelle ? Comme dans les villes, pourquoi ne pouvons-nous pas mettre en place des panneaux dans les prairies nomades disant : "Prendre des photos, faire pipi et cracher sont strictement interdits ici !"

Source : T.C.H.R.D., 7 mai 2013.

Tashi Rabten est soutenu par les actions Tibet Lib et Tibet Post, ainsi que par la ville de Chartres (28000).

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[1] Voir les articles :
- "Quatre écrivains tibétains arrêtés", du 05/082009 ;
- "Résumé sur la situation des Droits de l’Homme au Tibet en 2009", du 08/03/2010 ;
- "Nouvelle vague de dissidence au Tibet et harcèlement sur les écrivains", du 06/06/2010 ;
- "Les Tibétains condamnés à une amende, emprisonnés ou battus pour des chansons sur leurs téléphones mobiles", du 26/02/2011 ;
- "Tashi Rabten, écrivain tibétain, condamné à 4 ans de prison", du 06/07/2011 ;
- ""La liberté et la démocratie appartiennent à ceux qui se battent pour elles"", du 16/03/2013.

[2] "Écrit avec le sang" ou "Lettres de sang" ("Written in blood"), selon la traduction.

[3] Voir l’article "Chemin de fer Qinghai-Tibet : d’importants gisements découverts le long de la ligne", du 31/01/2007, et les articles liés au mot-clé "Voie ferrée au Tibet" ci-dessous .


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